Le logo du CN : du quai de départ à la destination – deuxième partie

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Par Andrew Elliott

Dans la première partie, nous avons mentionné qu’après l’adoption du logo des Chemins de fer nationaux du Canada (CN), le travail d’Allan Fleming pour la compagnie consistait surtout à offrir des services-conseils. L’équipe de la refonte visuelle a commencé par choisir le design des différents objets du chemin de fer, puis Valkus a trouvé des moyens d’intégrer le logo sur ces objets. L’information était ensuite transmise à des agences de publicité pour qu’elles produisent le matériel promotionnel du CN.

McConnell Eastman était responsable de la publicité sur le marché canadien. La Canadian Advertising Agency s’occupait du marché francophone au Québec, et Maclaren Advertising, du marché international. Ces trois sociétés créent les slogans accrocheurs qui sont imprimés sur les affiches et dans les journaux.

Utilisation du logo

Le logo est appliqué sur divers produits : les locomotives, les voitures, les billets, les sous-verres, les emporte-restes, les signets, les enveloppes, les cartes professionnelles, les en-têtes, les calendriers, les publicités, etc.

Onze affiches, produits et publicités.

Produits ornés du nouveau logo du CN. (No MIKAN 6026153)

Uniformisations du logo : le manuel de l’affichage

L’équipe de la refonte visuelle devait établir des normes sur l’utilisation du logo pour l’ensemble du personnel. Elle a commencé par produire un livret bilingue (Voir c’est croire / Seeing is believing) facile à distribuer, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la compagnie.

La couverture et trois pages de texte d’un livret.

Le livret Voir c’est croire. (No MIKAN 6026153)

De 1963 à 1967, le CN a aussi recours aux services de Jean Morin (par le biais de Valkus Inc.). Ce talentueux graphiste est né à Québec le 2 mars 1938. Il étudie les arts publicitaires à l’École des beaux-arts de Québec de 1956 à 1960. Il est l’un des premiers Canadiens français à étudier le design graphique, une discipline qui commence à s’implanter au début des années 1960. Pendant le semestre d’hiver 1960-1961, il est étudiant libre à la Kunstgewerbeschule à Zurich. Il a aussi la chance de visiter plusieurs ateliers en Suisse, à une époque où le design graphique est en plein essor en Europe.

À son retour au Canada, Jean Morin commence par travailler pour la Commission des expositions du gouvernement canadien en 1961 et 1962. Ses projets ultérieurs, dont celui pour le compte du CN, portent sur les images de marque. Dans le cadre de ses fonctions, il prépare le premier manuel de normalisation de l’affichage au Canada.

Ce manuel écrit en 1965 se trouve dans le fonds de Jean Morin, qui est conservé à BAC (MIKAN 160277, volume 1, R2725). Ce guide, d’une simplicité étonnante, est axé sur le design esthétique, notamment en ce qui a trait à la typographie et à l’harmonisation des couleurs.

Une page avec le logo du CN dans le coin inférieur gauche et les mots « Manuel d’affichage » écrits en anglais dans le coin inférieur droit. Dans le coin supérieur droit, le texte mentionne que le manuel est publié avec l’autorisation du vice-président à la direction.

Première page d’un manuel du CN sur l’affichage. (No MIKAN 162289)

Le manuel établit clairement son intention, décrivant en peu de mots le programme de refonte visuelle du CN. Un guide explique comment tracer convenablement les lettres C et N sur une grille pour qu’elles aient toujours la même forme, peu importe leur taille. Le manuel mentionne quelles sont les couleurs standards et explique comment les agencer. Le type de police et l’espacement entre les lettres optimisent l’effet visuel. Il y a aussi plusieurs exemples de maquettes pour des impressions sur de la papeterie, sur des bureaux ou sur les enveloppes extérieures des bâtiments. Des codes permettent au personnel de commander des gabarits pour des lettres ou des couleurs particulières auprès du service des fournitures du CN.

Cinq pages comprenant des instructions et des logos.

Extraits du manuel d’affichage du CN. (No MIKAN 162289)

Le manuel de Morin est remarquable, car il décrit les atouts esthétiques de l’image de marque créée par des designers graphiques professionnels, mais dans un langage à la portée de tous, notamment du personnel du CN.

Au printemps de 1968, la société de Valkus et le CN mettent fin à leur collaboration en raison d’un conflit sur les paiements pour les services rendus l’année précédente. Le CN embauche alors ARC Corporation, une autre société de design montréalaise. Heureusement, son personnel comprend d’anciens employés de Valkus, ce qui assure une certaine continuité. Les documents dans le fonds du CN montrent qu’une relation stable se poursuit jusqu’à la fin des années 1970.

À partir des années 1960, personne n’ose toucher au logo ou au manuel des normes. En 1996, soit quelques années après sa retraite, Lorne Perry se voit confier la révision du manuel. Il ne s’agit pas de tout revoir, mais d’épurer l’identité visuelle et d’éliminer tout élément superflu. « J’ai consulté des sociétés qui descendaient directement des créateurs. Tout a été mis à jour, simplifié, uniformisé et organisé de manière à prendre la forme d’un manuel. Le logo du CN demeure simple et marquant, exempt de toute fioriture. »

La version mise à jour est publiée en 2001. Elle explique entre autres comment utiliser les couleurs officielles :

La couleur constitue une caractéristique importante du logo. Tout comme les autres éléments de conception du logo, la couleur utilisée doit toujours être la même pour que le message soit clairement transmis.

La couleur officielle du CN est le rouge (Pantone 485). Lorsque la méthode d’utilisation ou le véhicule de communication le permettent, le logo CN doit apparaître en rouge sur une surface blanche, ou en blanc sur une surface rouge. Si le rouge n’est pas disponible, le logo doit alors apparaître en noir sur une surface en blanc, ou en blanc sur une surface en noir. Il doit toujours y avoir un contraste suffisant.

Il peut arriver que le logo soit utilisé dans un contexte plus commercial et que l’arrière-plan ne soit pas d’une seule couleur. Dans les cas où l’on doit s’éloigner de la combinaison de couleurs approuvées par le CN, l’utilisation d’autres couleurs devra être justifiée et approuvée par les Affaires publiques.

Évolution du programme de refonte visuelle

Lorne Perry contribue grandement à maintenir la cohérence du programme de refonte visuelle, car il occupe un poste influent pendant plusieurs décennies, en plus d’agir comme traducteur en chef. Il a le don de construire des ponts entre les designers graphiques et le reste de la compagnie.

Dans les années 1970, le programme de refonte visuelle devient le programme d’identification organisationnelle. Au milieu de la décennie, la division des services aux passagers du CN accuse un déficit annuel de 70 millions de dollars. Le CN cherche une stratégie pour que le gouvernement pallie le manque à gagner du service public, et conclut qu’une nouvelle image de marque est nécessaire afin que l’ampleur du besoin frappe les imaginations. Le CN retient les services de Corporation Arc dans ce but.

La société ne présente qu’un logo, une combinaison de couleurs (bleu et jaune) et un nom : VIA. Lorne Perry se rappelle que le tout fut présenté au comité de direction du CN, présidé par le président-directeur général Robert Bandeen. Il a eu l’agréable surprise d’apprendre que les couleurs choisies, le doré et le bleu saphir, étaient aussi celles de l’Université Duke, l’alma mater de Bandeen. Il a été d’autant plus facile de le convaincre.

Quelque 65 ans après son dévoilement, le logo du CN continue de faire partie intégrante de son image de marque.

Pour en savoir plus à son sujet, découvrez le projet Allan Fleming, piloté par sa fille Martha :

Autres ressources pour approfondir la question :


Andrew Elliott est archiviste à la Direction générale des archives de Bibliothèque et Archives Canada.

 

Le logo du CN : du quai de départ à la destination – première partie

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Par Andrew Elliott

Rares sont les personnes qui ont étudié le processus de conception du logo des Chemins de fer nationaux du Canada (le CN). Pourtant, ce bouillonnement créatif a mené au dévoilement d’un véritable emblème en 1960. Comme nous l’avons mentionné dans un précédent blogue, Bibliothèque et Archives Canada conserve de nombreux documents concernant la création de ce logo d’entreprise.

Après la Première Guerre mondiale, la compagnie cherche son identité. Elle essaie un certain nombre de logos et de slogans, dont le mémorable « The National Way » (La voie nationale; voir l’image ci-dessous tirée d’un numéro de 1920 de la revue Canadian National Railways). Ce slogan est utilisé dans un logo de 1919 à 1921, et son usage se répand tout au long des années 1920.

Page d’une revue avec le slogan « The National Way ».

Le logo et le slogan du CN dans le numéro de janvier 1920 de Canadian National Railways. (No OCLC : 933318325)

De 1959 à 1969, le CN se réinvente. Il faut dire qu’une bonne partie du travail avait été fait dans les années 1950 : mise à niveau du matériel roulant, amélioration des services aux passagers et retrait progressif des locomotives à vapeur en faveur du diesel. Mais la création du nouveau logo, en 1960, n’est pas une mince affaire : il faut trouver un motif attrayant tant pour les voyageurs que pour le personnel du CN. Nous verrons ici comment le nouveau logo s’est implanté dans l’ensemble de la compagnie, puis au sein du grand public. Les répercussions à long terme de cet extraordinaire travail de graphisme sont particulièrement intéressantes.

La refonte de l’identité visuelle : l’implantation concrète du nouveau logo

Comment implanter un nouveau logo dans une grande compagnie? L’équipe de la refonte visuelle commence par mettre le logo du CN dans le rapport annuel de 1960. Peu après, des articles sur le logo et son importance dans le domaine du graphisme paraissent dans des numéros de la revue interne Keeping Track (Au fil du rail), qui a pris la place du Canadian National Railways Magazine.

Les honneurs reçus facilitent le processus. Un ancien employé du CN, Lorne Perry, rapporte que l’équipe de la refonte visuelle a reçu de nombreux prix prestigieux de la part d’organisations de design graphique au Canada, aux États-Unis et outremer. L’organisateur d’un séminaire sur le graphisme au Canada loue publiquement le CN pour avoir été l’une des premières grandes compagnies à faire parvenir le design des grandes villes dans « l’arrière-pays canadien ».

De plus, la compagnie déploie d’énormes efforts pour rajeunir son image. Par exemple, elle améliore le design intérieur des trains et modernise leur apparence extérieure. Pour le prix d’un billet, les passagers peuvent profiter de meubles et d’un design dernier cri. Les trains deviennent alors des salles d’exposition mobiles accessibles à tous. Ce n’est pourtant qu’une petite partie du chantier lancé par la compagnie.

Pour mener à bien ce projet colossal, l’équipe de la refonte visuelle collabore étroitement avec la société Valkus Incorporated. Rappelons que James Valkus était l’un de ces designers graphiques dans le vent à New York. Il avait déjà participé aux premiers efforts de conception du logo.

Un homme assis sur une chaise de bois.

James Valkus, vers 1963. (No MIKAN 162289)

De 1960 au début de l’année 1968, le CN a recours aux services de sa société de design pour obtenir des conseils généraux sur le déploiement des divers aspects du logo. Le contrat prévoit que, la première année, le CN paiera jusqu’à 60 000 $ à la société si son approche est choisie, puis 120 000 $ par année pour contribuer au déploiement. Ce sont des montants tout à fait substantiels pour l’époque, et le tarif a peu varié au fil des années.

Voyons comment Valkus s’y est pris. Il commence par diviser les divers types de matériel promotionnel en catégories : images dans les trains; objets dans les trains; images dans les hôtels; objets dans les hôtels; images dans les gares; et objets dans les gares. Puis, il subdivise le tout pour relever précisément ce qui doit changer. Le contrat conclu entre le CN et Valkus en 1962 énumère les éléments suivants :

  • Équipement des locomotives et des voitures
  • Véhicules à moteur
  • Équipement pour l’entretien des voies
  • Signalisation
  • Manuels
  • Formulaires et documents imprimés
  • Revue Keeping Track
  • Uniformes
  • Matériel promotionnel
  • Affichage publicitaire

Valkus et l’équipe de la refonte visuelle demandent aux services du CN de fournir une liste complète d’objets à modifier. Par exemple, le service des voitures-lits et des voitures-restaurants fournit une liste de quatre pages :

Quatre pages tapuscrites.

Quatre pages décrivant en détail les changements nécessaires dans le service des voitures-lits et des voitures-restaurants du CN. (No MIKAN 5891012)

La refonte visuelle touche aussi les filiales du CN. Central Vermont et le Grand Tronc adoptent à leur tour une image de marque épurée rappelant le logo du CN. À la fin des années 1960, même les hôtels du CN obtiennent leur propre logo : une clé rouge.

Pendant cette période, Allan Fleming ne participe pas vraiment au travail de terrain, offrant plutôt des services-conseils en coulisses. L’équipe de la refonte visuelle commence par dessiner les divers objets du chemin de fer, puis Valkus trouve des moyens d’y intégrer le logo. L’information est ensuite transmise aux agences de publicité pour qu’elles produisent le matériel promotionnel de la compagnie.

C’est à suivre dans la prochaine partie de ce billet!

Pour en savoir plus sur le logo du CN, découvrez le projet Allan Fleming, mené par sa fille Martha :

Autres ressources pour approfondir la question :


Andrew Elliott est archiviste à la Direction générale des archives de Bibliothèque et Archives Canada.

Un nouveau départ : 150 ans d’infrastructures fédérales en Colombie-Britannique – Région de Cariboo : Le service postal ferroviaire entre Prince George et Prince Rupert

Par Caitlin Webster

La Colombie-Britannique s’est jointe au Canada en 1871, il y a 150 ans. Dans les années qui ont suivi, les infrastructures fédérales se sont répandues dans toute la province. Ce processus est bien documenté dans les collections de Bibliothèque et Archives Canada. La présente série de huit blogues met en lumière des bâtiments, des services et des programmes, ainsi que leur impact sur les diverses régions de la Colombie-Britannique.

La Colombie-Britannique entre dans la Confédération en 1871. Le service ferroviaire est ensuite prolongé jusqu’à la province pour que les personnes et les marchandises circulent plus librement en Colombie-Britannique et vers d’autres régions du Canada. Le courrier des particuliers, des organisations et des entreprises est acheminé. Les trains transportent du courrier depuis leur invention, mais c’est en 1897 que le gouvernement fédéral crée officiellement le Service postal ferroviaire, qui relève du ministère des Postes.

Arrêté ministériel du sous-ministre des Postes William White, daté du 22 février 1897. Il annonce la création de la Direction du service postal ferroviaire, précise les points de service initiaux et fournit d’autres détails concernant le service.

Arrêté ministériel no 38 : création de la Direction du service postal ferroviaire (e002151860)

Ce service utilise un système de bureaux de poste itinérants à bord des trains. Des commis spécialisés dans le courrier ferroviaire y travaillent. Ils effectuent les tâches habituelles : réception, tri, annulation et distribution du courrier, le tout à bord de trains se déplaçant de ville en ville. Les commis doivent être rapides, précis, vigoureux et dignes de confiance, car ils préparent souvent des objets précieux pour le service postal.

Le ramassage des sacs de courrier à la volée est particulièrement délicat. Le commis sort un bras du wagon pour saisir un sac au vol, tout en envoyant du pied un sac de livraison pour cet endroit. La manœuvre est particulièrement difficile si le train, en retard, file à pleine vitesse à travers la gare.

Les voitures postales ne sont pas toutes aménagées de la même manière, mais toutes sont équipées de tables de déchargement, de caisses de tri et d’autres meubles pour la préparation du courrier. On y trouve aussi des poêles, des toilettes et des éviers. Bien que les locaux soient exigus, cet équipement est absolument nécessaire pour les équipages qui vivent souvent à bord des voitures pendant de longs trajets.

Photographie en noir et blanc d’un jeune homme à côté de tables et de sacs postaux dans une voiture postale.

Portrait du commis à la poste des chemins de fer A. L. Robinson, pendant le premier trajet de la ligne Grand Trunk, de Prince George à Prince Rupert, en 1914 (s002386)

Dans la région de Cariboo, en Colombie-Britannique, les chemins de fer et le service postal ferroviaire qui les accompagne arrivent un peu plus tard qu’ailleurs dans la province. En 1914, le Grand Trunk Pacific Railway élargit son réseau et complète une ligne de Prince George à Prince Rupert. Le terminus de la ligne est situé sur les terres traditionnelles des Ts’msyen, à Prince Rupert. La compagnie achète 553 hectares de terres Lheidi T’enneh pour fonder la nouvelle ville de Prince George. Ses difficultés financières qui commencent en 1915 amèneront toutefois le gouvernement fédéral à nationaliser le chemin de fer et à l’intégrer aux Chemins de fer nationaux du Canada en 1920.

Carte en couleur du Canada et du nord des États-Unis, montrant les différentes lignes de chemin de fer qui traversent le continent.

Carte des lignes du réseau ferroviaire du Grand Trunk Pacific Railway au Canada, 1903. Est également représentée la position relative du chemin de fer du Grand Trunk Pacific par rapport aux trois lignes transcontinentales du nord déjà achevées : le Chemin de fer Canadien Pacifique, le Chemin de fer le Grand Nord et le Chemin de fer du Nord du Pacifique. (e01751895-v6)

Le Service postal ferroviaire atteint son apogée en 1950, lorsqu’il emploie 1 385 commis dans tout le pays. Son déclin commence au milieu des années 1960. Bien que du courrier soit encore transporté par rail jusque dans les années 1980, le service postal ferroviaire prend officiellement fin en 1971.

Pour en savoir plus sur le service postal ferroviaire, les chemins de fer en Colombie-Britannique et l’achat du territoire Lheidi T’enneh pour le site de la ville de Prince George, consultez les ressources suivantes :

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Caitlin Webster est archiviste principale à la Division des services de référence au bureau de Vancouver de Bibliothèque et Archives Canada.

L’histoire de la Canadian National Land Settlement Association : un nouveau défi Co-Lab

Par Andrew Elliott

La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) voit le jour il y a un peu plus d’un siècle, le 6 juin 1919. Sa constitution fusionne plusieurs réseaux de chemins de fer publics et privés en une seule organisation publique ayant pour mission d’assurer un service stable partout au pays.

Avec ses innombrables services, le CN essaie de répondre aux besoins de tous. Son histoire comporte donc de multiples facettes, comme en témoigne le vaste fonds d’archives de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada conservé à Bibliothèque et Archives Canada. À l’image de la compagnie, il ressemble à une hydre, cette créature à plusieurs têtes : on y trouve près de 16 000 contenants de documents!

Pour l’archiviste que je suis, deux subdivisions du CN présentent un intérêt particulier : le Colonization and Agriculture Department (Service de la colonisation et de l’agriculture), et la Canadian National Land Settlement Association (Association du Canadien National pour la colonisation rurale) qui en fait partie. Le Service a existé de 1919 à 1963, sous la direction de T. P. Devlin pour l’essentiel de cette période.

Il faut savoir que, dès 1925, les colons venant d’Europe continentale doivent si possible déposer une somme d’argent en fiducie dans une agence de colonisation approuvée par le gouvernement. Cette directive découle d’un règlement adopté la même année par le ministère canadien de la Citoyenneté et de l’Immigration, et qui restera en vigueur jusqu’en 1951.

C’est ainsi que naît l’Association le 9 mars 1925, dans le cadre d’un programme du CN visant à promouvoir l’immigration et la colonisation au Canada, qui a aussi eu des impacts négatifs considérables sur les Premières Nations, les Inuits et la Nation métisse.

(Mentionnons que l’Association faisait concurrence à la Canadian Colonization Association du Chemin de fer Canadien Pacifique, fondée en 1923. Pour en savoir plus à ce sujet, voyez les archives du Musée Glenbow, à Calgary, en Alberta.)

Grâce à ce programme, qui se poursuivra jusqu’en 1963, le chemin de fer voit ses activités augmenter et il peut se départir de certaines concessions foncières. Plus de 27 000 immigrants aidés par l’Association reçoivent de l’argent pour se procurer terres, équipement et bétail.

Comme l’Association fait pour ainsi dire partie du ministère de la Colonisation et de l’Immigration, les deux travaillent de très près, et leurs documents sont souvent entremêlés.

La plupart des documents administratifs créés par l’Association et par le Service témoignent des efforts déployés par le CN pour inciter les colons à s’installer sur leur terre, et relatent les progrès réalisés par ceux-ci. On y retrouve des rapports (entre autres sur l’évolution des communautés), des politiques, de la correspondance, des dossiers concernant des organisations et des individus (habituellement identifiés selon leur origine ethnique), des propositions de terres, des dossiers relatifs aux navires, des documents témoignant des relations entre les divers gouvernements, ainsi que des exemplaires de rapports annuels et d’autres publications.

Les dossiers personnels des immigrants sont particulièrement intéressants. Ils comprennent un questionnaire de candidature indiquant la nationalité, la langue, la religion et l’âge de la personne ainsi que des membres de sa famille; des cartes d’identité; des documents faisant état des services offerts, incluant le nom de la compagnie maritime et du navire à bord duquel ils sont venus au Canada; des reçus; des documents sur leur lieu d’établissement au Canada; ainsi que de la correspondance diverse. (Soulignons que dans les années 1920 et 1930, bon nombre d’immigrants provenaient d’Ukraine et d’autres pays d’Europe de l’Est.)

La série se divise en plusieurs sous-sections :

Bibliothèque et Archives Canada a reçu ces archives dans les années 1960. Pour les consulter, il fallait utiliser plusieurs instruments de recherche, dont un sur papier comprenant 194 pages (FA 30-39). Ces instruments de recherche peuvent aujourd’hui être interrogés en ligne.

Plusieurs rapports photographiques de l’Association ont été trouvés dans une sous-série reliée à la collection de photos principale du CN. On peut également consulter des documents dans la sous-série des rapports et photographies de l’Association, qui porte sur l’installation de familles immigrantes (en particulier dans l’Ouest canadien, années 1920 et 1930). En outre, de nombreux rapports contiennent des listes regroupant des renseignements fort intéressants, comme cette liste des immigrants établis dans l’Ouest canadien en 1934 et 1935.

Liste dactylographiée indiquant le nom, l’origine et le lieu d’établissement de familles orientées par les bureaux de l’Ouest.

Liste contenue dans un rapport intitulé Brief notes on the settlement of some of the families directed by the Western offices during the years 1934 and 1935 [Rapport sommaire sur l’établissement de certaines familles supervisé par les bureaux de l’Ouest en 1934-1935] (e011000601)

Plusieurs Européens venant s’établir sur des fermes dans l’Ouest canadien faisaient halte dans des refuges pour immigrants reliés à la gare du CN à Winnipeg, comme en témoigne cette photographie.

Photo noir et blanc d’un groupe d’immigrants arrivés à Winnipeg (Manitoba).

Immigrants arrivant à Winnipeg (Manitoba) en provenance d’Europe centrale. Années 1920 (c036148)

Les rapports de l’Association constituent des sources d’information inestimables pour les chercheurs qui veulent en savoir plus sur leurs ancêtres et sur les modèles d’établissements agricoles. Puisque les recensements effectués dans les années 1930 ne seront pas accessibles avant quelques années, ils sont pour l’instant notre seule source de renseignements sur l’origine des immigrants et leur lieu d’établissement. En voici quelques exemples :

Page d’album avec deux photos noir et blanc; l’une des photos montre une famille debout devant une maison entourée de terres agricoles, et l’autre présente la même scène en gros plan. La page contient des renseignements dactylographiés sur l’identité des membres de la famille et l’histoire de leur immigration.

La famille Kretchnear (d’origine allemande) sur sa ferme (e01100044)

Page d’album avec deux photos noir et blanc, l’une montrant une famille debout devant une maison, et l’autre montrant un attelage de chevaux tirant une charrue. Chaque photo est accompagnée d’une légende dactylographiée.

Ferme de la famille Mehle (d’origine roumaine allemande), 1928. (e011000523)

Page d’album avec deux photos noir et blanc, l’une montrant une famille debout devant une maison et l’autre montrant un paysage agricole. Chaque photo est accompagnée d’une légende dactylographiée.

Ferme de la famille Buff (d’origine suisse) en Colombie-Britannique, 1937 (e011000585)

Page d’album avec deux photos noir et blanc, l’une montrant un attelage de chevaux tirant une charrue, et l’autre montrant un homme debout à côté de son attelage. Chaque photo est accompagnée d’une légende dactylographiée.

Ferme de la famille Silobodec (d’origine yougoslave) en Saskatchewan, 1937. (e011000581)

Plusieurs de ces rapports photographiques ont récemment été numérisés. Vous pouvez contribuer à leur transcription et proposer des mots-clés sur le site Co‑Lab de Bibliothèque et Archives Canada. Peut-être découvrirez-vous d’où viennent vos ancêtres, ou tomberez-vous sur leur première ferme! Les documents d’archives de la Canadian National Land Settlement Association sont une véritable mine de renseignements, en particulier sur les établissements agricoles dans l’Ouest canadien. Nous espérons qu’ils plairont aux généalogistes amateurs et chevronnés.


Andrew Elliott est archiviste à la Direction générale des archives de Bibliothèque et Archives Canada

Qui agira en bon père de famille? Les documents relatifs au développement territorial des chemins de fer nationaux du Canada et les prédécesseurs de l’entreprise

Les chemins de fer ont longtemps joué un rôle prépondérant dans les histoires relatant l’émergence du Canada en tant que nation. La construction des lignes de chemin de fer était, à l’époque, perçue comme un élément déterminant dans la formation d’une identité nationale cohérente et se voulait un gage que les déplacements et les échanges commerciaux dans le vaste territoire du Canada allaient être simplifiés.

Les compagnies de chemin de fer ont également participé à la colonisation de l’Ouest canadien en agissant comme promoteurs et courtiers en immeuble pour les terres concédées par le gouvernement fédéral. Après la cession de la Terre de Rupert au Canada en 1870, les concessions de biens-fonds ferroviaires constituaient un important volet du plan gouvernemental visant à accroître la population des régions de l’Ouest déjà occupées par des communautés autochtones, des établissements métis et des postes avancés de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Même au début du vingtième siècle, on concédait des terres afin d’encourager les compagnies de chemin de fer à prolonger leurs rails partout sur le continent, et la construction du chemin de fer était partiellement financée par la location et la vente de ces terres.

Le bureau de Winnipeg des Services régionaux garde un précieux assortiment de documents à l’appui de la vente et de la location de terres agricoles et de terres en zones urbaines dans l’Ouest canadien par les Chemins de fer nationaux du Canada et les prédécesseurs de l’entreprise. Ces documents, provenant des diverses sociétés filiales vouées à l’immobilier rattachées aux Chemins de fer nationaux du Canada, le Chemin de fer Canadien du Nord et la Grand Trunk Pacific Railway, brossent un portrait vivant des colons établis dans l’Ouest canadien et présentent certains des nombreux défis qu’ils ont dû relever au début et au milieu du vingtième siècle.

Les dossiers liés à la vente et à la location de terres agricoles procurent des comptes rendus particulièrement intéressants sur les colons de l’Ouest canadien et leurs expériences. En général, on retrouve dans ces dossiers un formulaire de demande standard, décrivant brièvement les antécédents personnels du demandeur, ainsi qu’une évaluation de la demande rédigée par un représentant de l’entreprise, dont la tâche consistait à déterminer si le demandeur était susceptible d’agir en bon père de famille (« likely to make good »). Les demandes et évaluations procurent des profils détaillés de fermiers venus peupler les provinces des Prairies et la Colombie-Britannique.

Formulaire imprimé intitulé Applicant's Statement (bilan du demandeur) sur lequel apparaissent, écrites à la main, les réponses à des énoncés et à des questions visant à recueillir de l'information sur le demandeur. Le formulaire sert à colliger de l'information, telle que le nom, l'âge, l'état matrimonial et le lieu de naissance du demandeur; le nom de trois hommes d'affaires, d'un banquier et d'un membre du clergé (three businessmen, one banker, and one clergyman), qui pourraient servir de références pour le demandeur, et des précisions quant aux actifs et aux dettes du demandeu

« Applicant’s Statement » (bilan du demandeur) au nom de Charles Deffey, acquéreur éventuel de SW-17-28-26 W4 (e011172001)

Formulaire imprimé intitulé Appraiser's Report sur lequel apparaissent des notes manuscrites ajoutées par un évaluateur concernant l'acquéreur éventuel d'une terre agricole. Dans les notes de l'évaluateur se trouvent une évaluation de la réputation de l'acquéreur, l'état de toute terre agricole que l'acquéreur pourrait déjà posséder et l'avis de l'évaluateur à savoir s'il croit que le demandeur est un acquéreur susceptible d'agir en bon père de famille (a purchaser who is likely to make good).

« Appraiser’s Report » (rapport d’évaluation) au nom de Charles Deffey, acquéreur éventuel de SW-17-28-26 W4 (e011172002)

Naturellement, la majorité des autres documents qui se trouvent dans les dossiers servant à appuyer la vente d’une terre agricole sont de la correspondance portant sur les paiements à effectuer afin d’acheter la terre. Bien que ces échanges de courrier soient, en général, de nature courante, il arrive aussi qu’on y découvre des plaidoiries bien senties d’acquéreurs qui imploraient la clémence pour avoir omis d’effectuer un versement ou pour l’avoir remis en retard, plus particulièrement durant les années 1930. Parmi les explications souvent invoquées dans les lettres pour justifier les manquements, mentionnons les récoltes décevantes ou les épreuves subies par l’expéditeur pris en défaut et sa famille. Dans la lettre reproduite ci-dessous, par exemple, l’auteur renonce à sa demande d’obtenir un lopin de terre agricole en Saskatchewan après s’être cassé une jambe et avoir perdu la récolte annuelle à cause d’une tempête de grêle.

Lettre manuscrite adressée au commissaire des terres, aux Chemins de fer nationaux du Canada, et provenant de Charles Deffey qui fait part de son intention de renoncer à un lopin de terre agricole pour lequel il avait effectué des paiements. M. Deffey fournit une brève description de certains obstacles qu'il a rencontrés lors de ses travaux sur la terre et il informe le commissaire des terres qu'il enverra un acte de renonciation (quit claim) officiel dès qu'il aura assez d'argent pour payer un juge de paix (J.P.).

Lettre de Charles Deffey au commissaire des terres, Chemins de fer nationaux du Canada (e011172003)

Recherche de documents relatifs aux terres

On peut consulter les documents relatifs au développement territorial des Chemins de fer nationaux du Canada et des prédécesseurs de l’entreprise, des archives fort susceptibles de susciter un immense intérêt auprès des chercheurs en généalogie et de ceux qui se penchent sur des sujets comme l’agriculture, l’immigration et l’histoire locale, à partir de l’outil Recherche dans la collection sur le site Web de Bibliothèque et Archives Canada. D’abord, il faut sélectionner « Recherche avancée » et ensuite « Collections et fonds (Recherche de fonds d’archives) » dans le menu déroulant « Jeu de données ». Ensuite, sélectionner « No d’instrument de recherche » dans le menu déroulant de « Termes spécifiques » et taper « 30-130 » dans l’encadré à droite, et cliquer recherche. On peut préciser la recherche en ajoutant un mot-clé dans l’encadré « Tous les mots », comme le nom d’une famille particulière, ou les coordonnées d’arpentage des terres fédérales afin de trouver de l’information sur un lopin de terre donné.

Précisons toutefois que ces documents ne constituent pas un dossier exhaustif des activités de développement territorial menées par les Chemins de fer nationaux du Canada, les prédécesseurs de l’entreprise et leurs sociétés filiales. Les dossiers et registres, actuellement gardés au bureau de Winnipeg des Services régionaux de Bibliothèque et Archives Canada, ont été récupérés des entrepôts des Chemins de fer nationaux du Canada lorsque le quartier de Winnipeg maintenant connu sous le nom de The Forks devait faire l’objet d’une rénovation urbaine vers la fin des années 1980. Fort heureusement, nous avons pu récupérer suffisamment de registres et de dossiers pour avoir un riche aperçu de la colonisation dans l’Ouest canadien au début et au milieu du vingtième siècle.