Perspectives des porteurs noirs : navires et trains hospitaliers

English version

Par Jeff Noakes

Un porteur vêtu d’une casquette foncée et d’un veston blanc allume la cigarette d’un patient couché dans un lit.

Le porteur Jean-Napoléon Maurice (à droite) allume la cigarette du soldat Clarence Towne, un patient à bord d’un train hospitalier, 20 août 1944. (e011871941)

L’image ci-dessus provient d’une série de photographies de porteurs de voitures-lits noirs prises pendant et après la Deuxième Guerre mondiale. Cette série présente plusieurs points de vue sur les personnes qui ont servi la nation et nous amène à nous interroger sur l’histoire qui se cache derrière les images. Qui sont ces personnes? Pourquoi avoir pris ces photos? Pourquoi sont-elles importantes? Quelles histoires peuvent-elles révéler?

La date et le catalogage d’origine donnent suffisamment d’information pour approfondir certains aspects. La photo ci-dessus a été prise à l’intention du public. Elle parut dans des journaux canadiens qui identifient les deux hommes : le porteur Jean-Napoléon Maurice et le soldat Clarence Towne. Les légendes dans les journaux précisent que Maurice, un membre du Royal 22e Régiment, a été blessé en Italie, tandis que Towne a subi des blessures au combat à Caen, en Normandie. Certains journaux omettent de dire que Maurice servait auparavant au sein des Fusiliers Mont-Royal, et qu’il a participé au raid de Dieppe.

Le service militaire de Maurice est explicitement mentionné dans la légende du journal. On pourrait aussi deviner son passé en regardant son uniforme : les décorations sur son veston blanc sont bien visibles, tout comme son insigne du service général, en forme de bouclier, auquel son service militaire lui donne droit. De nombreux lecteurs de l’époque auraient facilement reconnu ces décorations. Quant à Towne, le plâtre à son bras gauche témoigne de ses blessures subies en service. Dans au moins un des journaux, la photo a été retouchée pour augmenter le contraste entre le plâtre et les draps.

La photographie s’inscrivait probablement dans une vaste campagne de publicité sur les trains hospitaliers. Maurice faisait partie d’un groupe de quatre porteurs du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) choisis pour travailler dans les voitures hospitalières parce qu’ils étaient d’anciens combattants blessés en service. À la fin d’août 1944, les journaux ont publié la photo ci-dessus et les histoires du service militaire et du travail de porteur de ces quatre hommes (Maurice, Randolph Winslow, Sam Morgan et James E. Thompson).

À partir de la date et de la légende originale, nous pouvons aussi faire des recherches dans les documents conservés à Bibliothèque et Archives Canada (BAC). Aucun train hospitalier ne s’appelait Lady Nelson, mais un des navires hospitaliers du Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale portait ce nom.

Cet ancien navire de ligne civil est coulé par un sous-marin allemand en 1942, dans le port de Castries, sur l’île Sainte-Lucie. Après avoir été renfloué, le Lady Nelson est transformé en navire hospitalier pour transporter le personnel militaire blessé ou malade. Plus tard, il transporte d’autres militaires et leurs personnes à charge. Ses voyages le mènent notamment de ports du Royaume-Uni à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Là, des trains hospitaliers utilisant le matériel des Chemins de fer nationaux du Canada et du Canadien Pacifique transportent les patients partout au pays. La photo est donc celle d’un patient qui se trouve dans un train hospitalier véhiculant les blessés débarqués du Lady Nelson.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, la Direction des mouvements était responsable d’une bonne partie de ces opérations. Ses documents sont conservés dans le fonds du ministère de la Défense nationale [R112-386-6-F, RG24-C-24]. Cette volumineuse collection nous renseigne sur les déplacements de centaines de milliers de militaires à destination et en provenance du Canada, ainsi que sur le transport de marchandises et de matériel militaire. Elle comprend aussi de nombreux documents sur le voyage vers le Canada des personnes à charge des militaires, comme les veuves de guerre et leurs enfants, durant et après le conflit. Ces ressources ont été microfilmées vers 1950 et sont aujourd’hui numérisées. On peut les consulter sur le site Canadiana du Réseau canadien de documentation pour la recherche.

Avis : Ces documents n’existent qu’en anglais et peuvent comprendre des renseignements médicaux que certaines personnes pourraient juger perturbants, offensants ou néfastes. Les termes historiques pour désigner des diagnostics en sont des exemples. Les documents contiennent parfois d’autres termes et contenus à caractère historique qui pourraient être considérés comme offensants ou qui pourraient causer un préjudice, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Les éléments qui composent les collections, leurs contenus et leurs descriptions sont le reflet des époques au cours desquelles ils ont été créés et des points de vue de leurs créateurs.

Parmi les documents se trouvent des dossiers sur les voyages des navires hospitaliers, sur le personnel ramené au pays, ainsi que sur la planification et le fonctionnement des trains hospitaliers et d’autres moyens de transport qui ont amené les patients à divers endroits au Canada et à Terre-Neuve. Certains voyages vont même plus loin, par exemple, pour rapatrier des Américains qui ont servi dans l’Armée canadienne ou des membres d’armées alliées qui doivent traverser l’Amérique du Nord pour retrouver leur pays.

Selon les notes de catalogage, la photo a été prise le 20 août 1944. Il pourrait donc y avoir un lien avec l’arrivée du Lady Nelson quelques jours plus tôt. Une recherche dans le catalogue de BAC mène à un dossier de la Direction des mouvements [RG24-C-24-a, numéro de bobine de microfilm : C-5714, numéro de dossier : HQS 63-303-713] qui décrit l’événement survenu le 18 août, bien que le navire ait peut-être amarré juste avant minuit le 17. La photo donne donc une idée du contenu des documents sur ce voyage particulier. Elle nous amène également à réfléchir à l’utilité potentielle et aux limites de ces sources, surtout en ce qui concerne les expériences des porteurs de voitures-lits à bord des trains hospitaliers.

Un navire hospitalier à une seule cheminée dont la coque et la superstructure sont blanches. Les bâtiments gris du port apparaissent à l’arrière-plan. Une bande verte horizontale interrompue par trois croix rouges orne la coque. Le numéro 46 est peint dans des rectangles noirs sous la bande verte.

Le navire hospitalier canadien Lady Nelson à Halifax, Nouvelle-Écosse. (e010778743)

Les centaines de pages conservées dans ce dossier (des messages, des lettres, des notes de service et des listes de militaires rapatriés) décrivent l’ensemble des événements. À son départ de Liverpool, peu avant minuit le 8 août 1944, le Lady Nelson transporte 507 militaires vers Halifax pour des raisons médicales. Presque tous sont membres des forces canadiennes, et 90 % font partie de l’armée de terre. Se trouvent également à bord deux Terre-Neuviens qui ont servi dans la Royal Navy britannique ainsi qu’un officier de la force aérienne royale néo-zélandaise qui amorce son long voyage de retour via le Canada. Deux patients décédés pendant le voyage reçoivent une sépulture en mer : le soldat George Alfred Maguire, le 11 août, et le capitaine Theodore Albert Miller, le 15. Le catalogue de BAC permet de consulter leurs dossiers de service numérisés, qui fournissent des détails sur leur dernier voyage ici-bas.

Des histoires plus générales ressortent aussi du dossier sur ce voyage, dont la façon dont les militaires blessés et malades sont rapatriés jusqu’au Canada. À la mi-août 1944, le Lady Nelson peut accueillir environ 500 passagers. Le mois suivant, un deuxième navire hospitalier pouvant transporter autour de 750 patients, le Letitia, entre en service. À partir de ce moment, plus de 1 000 blessés ou malades peuvent traverser l’Atlantique Nord chaque mois pour revenir au Canada.

L’augmentation de la capacité témoigne également de l’intensité croissante des combats outre-mer à partir du débarquement du jour J, le 6 juin 1944, et de la campagne de Normandie. Les pertes subies sur ce théâtre de guerre s’ajoutent au coût de la campagne terrestre en Italie, de la guerre navale et des conflits aériens. À la mi-août, une note de service parle d’un « arriéré » de pertes au Royaume-Uni en attente d’un rapatriement au Canada. Les documents montrent aussi qu’il n’y a pas seulement des militaires blessés au combat, que ce soit physiquement ou psychologiquement : d’autres patients retournent au Canada en raison de blessures et de maladies découlant de causes variées.

Lorsqu’elle organise le transport hospitalier, la Direction des mouvements s’intéresse principalement au personnel qui retourne au pays. Elle doit entre autres connaître leurs besoins médicaux pendant le voyage et leur destination. On retrouve par conséquent des détails sur les individus transportés vers divers lieux au Canada, comme l’état de santé, les soins requis et le plus proche parent.

La plupart des documents donnent des détails sur les services nécessaires à l’organisation des voyages, mais ils mentionnent rarement les personnes qui participent à ce travail. L’équipage des trains hospitaliers et les employés des compagnies de chemin de fer, dont les porteurs, ne sont pas mentionnés individuellement. Chaque voiture hospitalière comprend du personnel médical, mais aussi un porteur. Des porteurs sont également affectés dans les autres voitures de passagers et voitures-lits du train.

Pourtant, leurs expériences ne sont pas décrites. Les dossiers les mentionnent brièvement, sans donner leur nom, pour demander qu’ils soient présents dans les trains hospitaliers. Il y a aussi des références indirectes à l’équipage du train. La présence des porteurs fait partie des services exigés de la part des compagnies de chemin de fer. Les militaires parlent d’eux comme du reste du personnel à bord des trains.

Dans les quelque 400 pages de documents sur ce voyage du Lady Nelson et du train hospitalier au Canada, il n’y a qu’une mention explicite des porteurs. Dans une lettre adressée au Canadien Pacifique au début d’août 1944, la Direction des mouvements prévient que le Lady Nelson devrait arriver aux alentours du 16 août. En plus de mentionner que des voitures hospitalières seraient nécessaires pour les patients, la lettre demande que des porteurs soient présents. Quatre voitures hospitalières du Canadien Pacifique, exigeant chacune un porteur, sont mentionnées. Comme la compagnie a choisi des porteurs qui avaient été blessés pendant leur service militaire, on déduit qu’il s’agit de Jean-Napoléon Maurice et de ses trois collègues.

Lettre dactylographiée.

Lettre de la Direction des mouvements au Canadien Pacifique mentionnant explicitement les porteurs. C’est le seul document à le faire dans le dossier de la Direction des mouvements concernant l’arrivée du Lady Nelson à la mi-août 1944. (MIKAN 5210694, oocihm.lac_reel_c5714.1878)

Voici une traduction de la lettre ci-dessus :

M.C. 303-713

7 août 1944

Monsieur A. L. Sauvé,
Agent général,
Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique,
OTTAWA (ONT.)

Arrivée du navire W-713 :
Voitures hospitalières du Canadien Pacifique no 96-97-98-99

Le navire susmentionné devrait arriver à Halifax (Nouvelle-Écosse) autour du 16 août 1944 avec à son bord des invalides de l’Armée canadienne. Pour les héberger pendant leur déplacement du port vers des destinations dans l’ensemble du Canada, toutes les voitures hospitalières seront nécessaires, dont les voitures du Canadien Pacifique no 96, 97, 98 et 99.

2. Pourriez-vous prendre les dispositions nécessaires pour que des porteurs du Canadien Pacifique soient disponibles à Halifax en prévision de ce déplacement? Ils devraient arriver au plus tard le matin du 16 août.

[Signature]
Directeur des mouvements

La Direction des mouvements est plus loquace au sujet de Clarence Towne. Membre des North Nova Scotia Highlanders, il a été blessé au coude et au bras gauche par une mitrailleuse allemande. Il occupe un lit dans la voiture hospitalière 98 pour aller retrouver son épouse Jane à St. Catharines (Ontario).

Towne a peut-être été choisi comme exemple de patient parce que ses blessures ne l’ont pas défiguré et ne risquent pas de traumatiser le front intérieur. On ne peut en dire autant d’autres blessés. Le plâtre sur le bras gauche de Towne révèle doucement et indirectement la nature de ses blessures. Contrairement à d’autres patients à bord du train, ce militaire a subi des blessures physiques au combat et ne souffre pas de troubles psychologiques ou de blessures causées par un accident ou une maladie. C’est un autre facteur qui a pu jouer un rôle dans le choix de la photo.

En plus d’être le premier fil qui permet de dérouler l’histoire de certaines personnes à l’aide d’une pluralité de sources, cette photo fait connaître le grand dossier des porteurs et des services essentiels qu’ils ont rendus dans les trains hospitaliers pendant et juste après la Deuxième Guerre mondiale. Elle remplissait sans doute d’autres rôles au moment où elle a été prise. Jean-Napoléon Maurice est peut-être photographié en train d’allumer la cigarette de Clarence Towne pour confirmer les idées de la population sur les porteurs de chemin de fer noirs, la nature de leur travail et leur statut racial et social, le tout se manifestant par leur rôle au service des voyageurs.

La photo rappelle aussi l’omniprésence du tabac dans les années 1940. Dans les voitures hospitalières, les lits de chaque patient sont munis d’un cendrier, ce qui paraît inimaginable de nos jours. L’interaction personnelle que représente l’allumage d’une cigarette avait probablement pour but de montrer l’attention portée aux militaires blessés. C’était l’occasion pour l’armée et le gouvernement du Canada de montrer qu’ils se préoccupaient du sort des militaires rapatriés, ce qui n’était pas à dédaigner à une époque où les trains hospitaliers et leurs passagers ne rappelaient que trop, sur le front intérieur, les coûts humains croissants de la Deuxième Guerre mondiale.

Autres ressources


Jeff Noakes est un historien spécialiste de la Deuxième Guerre mondiale au Musée canadien de la guerre.

Qu’y a-t-il dans un nom : les Carnegie

English version

Par Sali Lafrenie

« Quel voyage! C’était comme si j’avais été propulsé dans un tunnel temporel, des champs de Willowdale à un champ de rêves. Les nombreux fils de ma vie se sont tous réunis pour produire une magnifique tapisserie. » (traduction)

Herb Carnegie, A Fly in a Pail of Milk: The Herb Carnegie Story (OCLC 1090850248)

Herb Carnegie (1919-2012) était un athlète d’exception, qui a cumulé plusieurs titres de champion de golf et a mené une carrière impressionnante au hockey s’étendant sur plus d’une décennie. Au cours de sa carrière de joueur, il a parcouru de nombreuses villes, évoluant aux niveaux amateur et semi-professionnel au sein d’équipes telles que les Observers de Toronto, les Young Rangers de Toronto, les Flyers de Perron, les Buffalo Ankerites de Timmins, les Cataractes de Shawinigan, les Randies de Sherbrooke (également connus sous le nom des Saints), les As de Québec et, à sa dernière saison, les Mercurys d’Owen Sound. Surnommé « Swivel Hips » (« Hanches pivotantes ») en raison de son agilité et de son style de jeu, Herb Carnegie a marqué l’histoire du sport en remportant trois fois de suite le titre du joueur le plus utile (MVP) dans la Ligue senior de hockey du Québec (LSHQ) et en figurant dans le premier trio d’attaquants composé entièrement de joueurs noirs du hockey semi-professionnel depuis la Colored Hockey League.

Photographie en noir et blanc de trois joueurs de hockey noirs alignés, leurs bâtons posés sur la glace.

Photo du célèbre trio composé entièrement de joueurs noirs : Herb Carnegie, Ossie Carnegie et Manny McIntyre (Bibliothèque et Archives Canada/e011897004).

Après sa retraite du hockey, Herb Carnegie devient un homme d’affaires prospère et le premier conseiller financier noir canadien employé par l’Investors Group. Il mène une carrière de 32 ans au sein de cette entreprise, qui crée en 2003 un prix en son honneur : le Herbert H. Carnegie Community Service Award (en anglais). Carnegie était bien plus qu’un modèle de réussite en affaires. Il était un leader communautaire et un brillant entrepreneur. Il a fondé l’une des premières écoles de hockey au Canada, inventé un tableau magnétique et conçu un jeu de société destiné à aider les gens à mieux comprendre le hockey et à accroître leur connaissance de ce sport. Carnegie a aussi fondé la fondation Future Aces (en anglais), ainsi qu’une philosophie éducative portant le même nom, avec sa femme Audrey et leur fille Bernice. On peut constater son influence dans de nombreux domaines : il a été représenté dans des bandes dessinées, intronisé dans plusieurs temples de la renommée, et des prix portent son nom. De plus, de nombreuses écoles ont adopté le credo des Future Aces, et il y a même une école qui porte fièrement son nom.

Deux photographies couleur de documents liés à Herb Carnegie. La première est une feuille encadrée d’un motif bleu complexe, sur laquelle est imprimée une série d’affirmations commençant par « Je ». La seconde est une carte professionnelle verte verticale portant le logo en relief Investors Millionaire, le nom Herbert H. Carnegie imprimé au centre, et les coordonnées de l’entreprise au bas.

Credo des Future Aces et carte Investors Millionaire (Bibliothèque et Archives Canada/e011897005 et e011897007).

Qu’y a-t-il dans un nom?

Je ne suis pas de l’avis de Shakespeare. Du moins, pas dans ce cas précis. Je crois que les noms possèdent une force intrinsèque. Ils portent en eux des histoires, des legs, et peuvent même s’apparenter à des points de repère sur une carte. Le nom Carnegie résonne avec force dans les domaines du sport, de l’entrepreneuriat, des affaires, du travail et des soins infirmiers.

Herb Carnegie, dont l’agilité, le style de jeu distinctif et l’origine ethnique ont attiré l’attention, peut nous apprendre bien plus encore si l’on prend le temps de se poser quelques questions :

  • En quoi l’expérience de Herb Carnegie dans le hockey reflète-t-elle les dynamiques sociales et les défis propres à la société canadienne de l’époque?
  • Si des joueurs noirs pratiquaient le hockey dès 1895, pourquoi la Ligue nationale de hockey (LNH) n’a-t-elle éliminé la barrière raciale qu’en 1958 avec Willie O’Ree?
  • Sur quels fondements repose aujourd’hui l’ascension des joueurs de hockey issus de communautés de couleur?

S’il est vrai que Herb Carnegie est souvent célébré pour ses compétences exceptionnelles au hockey et considéré comme le meilleur joueur noir à n’avoir jamais accédé à la LNH, son impact en dehors de la glace a été tout aussi considérable. Il mérite d’être honoré non seulement pour ses exploits sportifs, mais aussi pour toutes ses contributions et pour toutes les façons dont lui et sa famille ont travaillé pendant des générations pour améliorer leur communauté.

Nous n’avons qu’à nous tourner vers sa sœur, Bernice Isobel Carnegie Redmon, pour découvrir une autre figure pionnière. En effet, elle est devenue en 1945 la première infirmière de santé publique noire au Canada, et a été la première femme noire nommée dans l’Ordre des infirmières de Victoria au Canada (VON). Pour mieux comprendre le contexte des soins infirmiers et de la question raciale au Canada, posons-nous ces quelques questions :

  • Comment Bernice Redmon est-elle devenue la première infirmière de santé publique noire au Canada en 1945?
  • Qu’est-ce qui empêchait les femmes noires d’entrer dans ce domaine avant la Deuxième Guerre mondiale?
  • À quel moment le premier programme canadien de formation en soins infirmiers a-t-il vu le jour?

Une recherche rapide nous apprend que Bernice Redmon a dû se rendre aux États-Unis pour devenir infirmière, car il a été interdit aux femmes noires de suivre cette formation au Canada jusqu’au milieu des années 1940. Et si l’organisme Les infirmières de l’Ordre de Victoria du Canada est fondé en 1897, le premier programme canadien de formation infirmière ne voit le jour qu’en 1919.

Bernice Redmon ne reste toutefois pas seule longtemps (en anglais). Dans les années qui suivent, d’autres pionnières comme Ruth Bailey, Gwen Barton, Colleen Campbell, Marian Overton, Frieda Parker-Steele, Cecile Wright-Lemon, Marisse Scott (en anglais) et Clotilda Douglas-Yakimchuk (en anglais) viennent ajouter leur nom aux rangs des infirmières noires au Canada. Malgré les obstacles, comme des quotas ou des politiques discriminatoires, le visage de la médecine et des soins infirmiers évolue progressivement dans les années 1940 et 1950. Cette année marque le 80ᵉ anniversaire de l’exploit de Bernice Redmon.

Une affiche promotionnelle en noir et blanc montre un chapeau d’infirmière et un sac de matériel médical.

Affiche des Infirmières de l’Ordre de Victoria (Bibliothèque et Archives Canada/e011897008).

En passant à la génération suivante des Carnegie, nous faisons la connaissance de Bernice Yvonne Carnegie, la fille de Herb. Historienne autoproclamée de sa famille et fervente leader dans le monde du hockey, Bernice a cofondé la Future Aces Foundation avec ses parents et lancé l’Initiative Carnegie (en anglais) en 2021. À l’instar de son père, elle œuvre avec dévouement pour soutenir sa communauté et promouvoir une plus grande diversité dans le monde du hockey. Depuis plus de dix ans, elle y contribue au moyen de programmes éducatifs basés sur la philosophie des Future Aces, de bourses et par son travail de conférencière. Elle a également été membre du groupe BIPOC qui a acquis l’équipe de hockey des Six de Toronto (en anglais).

En 2019, Bernice a enrichi les mémoires de son père, A Fly in a Pail of Milk, en y ajoutant ses propres réflexions sur la vie de Herb, les leçons qu’elle en a tirées et la manière dont elle poursuit le travail qu’il a commencé. Il est difficile de s’arrêter à la lecture des mémoires de Herb Carnegie et des ajouts de Bernice. À mon avis, ces mémoires révèlent des liens profonds entre la famille Carnegie et l’histoire du Canada, et cette réflexion m’amène à me poser de nouvelles questions :

  • Quels métiers étaient accessibles aux hommes noirs entre 1900 et 1950?
  • Quel était le salaire moyen dans une entreprise minière? Qu’en était-il pour les joueurs de hockey?
  • Comment peut-on définir l’héritage multigénérationnel de la famille Carnegie?

L’innovation est exaltante, mais il est essentiel de se rappeler que ceux qui ont fait tomber les barrières raciales et la ségrégation dans les institutions et qui ont plaidé pour leur propre inclusion étaient avant tout des êtres humains. Au-delà de leurs réalisations exceptionnelles se trouvaient des obstacles importants, du racisme omniprésent et souvent des traumatismes infligés par les mêmes institutions qu’ils admiraient. Tenter d’évoluer dans des institutions majoritairement blanches n’était jamais chose facile, et le coût personnel était considérable. Être le premier, ou l’un des rares, représentait un défi constant.

Nous ne prenons pas suffisamment le temps de réfléchir à la manière dont l’histoire collective s’entrelace dans nos vies et nos propres récits familiaux. Je ne doute pas qu’il existe d’autres familles au Canada dont le parcours et les racines généalogiques tracent un sillon tout aussi unique dans le paysage national que celui des Carnegie. Des noms comme les Nurse, les Grizzle, les Crowley et les Newby me viennent immédiatement à l’esprit.

Alors, qu’y a-t-il dans un nom? Une tapisserie complexe. Une histoire riche. Une archive précieuse.

Ressources supplémentaires


Sali Lafrenie est archiviste au sein de la Direction générale des archives privées et du patrimoine publié à Bibliothèque et Archives Canada.

Perspectives des porteurs noirs : l’éclairage des documents militaires

English version

Par Rebecca Murray

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) possède plus de 30 millions d’images sur divers supports, comme des images numériques, des négatifs et des photographies. Une seule photo d’archives peut en dire long sur la mode, le climat, la technologie, les coutumes et la culture d’une époque! Pourtant, ces thèmes importants sont souvent négligés dans les descriptions archivistiques, la priorité étant accordée aux principaux sujets photographiés.

Chaque fois que je vois une image dans les collections, je constate qu’elle vaut effectivement 1000 mots. Prenons l’exemple de cette photo relativement simple montrant deux personnes sur un fond pratiquement noir. On y trouve néanmoins une foule de détails et de renseignements historiques qui portent à réfléchir. Que nous révèlent les uniformes des deux hommes? Un bâtiment ou un paysage à l’arrière-plan nous aurait-il permis de déterminer où la photo a été prise?

Un porteur de voitures-lits (à gauche) serre la main d’un soldat.

1967-052, pièce Z-6244-4 : Arrivée des membres du Royal Canadian Regiment au fort Lewis : des unités de la Force spéciale de l’Armée canadienne équivalant à une brigade viennent de déménager au fort Lewis (Washington) et commenceront bientôt leur instruction. Parmi les nouveaux arrivants se trouve un des nombreux membres de la Force spéciale venant de Halifax. Ci-dessus, le porteur Jim Jones de Calgary souhaite bonne chance au soldat Harry Adams. (e011871942)

J’ai vu cette image pour la première fois en parcourant l’acquisition 1967-052 du ministère de la Défense nationale à la recherche de femmes militaires, qui sont très peu représentées dans les photos de l’armée (il n’y en a d’ailleurs aucune ici). Les documents visuels, en effet, ne nous renseignent pas seulement sur leur sujet principal : ils peuvent apporter un éclairage sur de nombreux éléments secondaires ou moins connus, comme l’histoire des porteurs de voitures-lits. Malgré mon diplôme en histoire canadienne, c’est dans des livres comme Bluebird, de Genevieve Graham, et Le porteur de nuit, de Suzette Mayr, que j’ai récemment découvert l’existence des porteurs et leurs réalités.

Pour trouver des images de porteurs de voitures-lits à BAC, vous ne commenceriez probablement pas par les fonds du ministère de la Défense nationale, mais par ceux du ministère des Transports (RG12) ou de la Compagnie des chemins de fer nationaux (RG30). Dans le cas qui nous occupe, ni les porteurs ni le chemin de fer (ni même la guerre de Corée) ne sont mentionnés dans la description de la sous-sous-série « préfixe Z – CA ». Ce n’est pas étonnant, car on y trouve environ 7 500 images documentant des événements au fil de plusieurs décennies, dont la Deuxième Guerre mondiale. Moins de 15 % des images de cette sous-sous-série sont décrites au niveau de la pièce (ou photographie) dans la base de données. La plupart sont cependant décrites en détail dans les instruments de recherche (c’est-à-dire des listes de pièces) joints à la description en format numérisé au niveau de la sous-sous-série.

La description complète de l’image Z-6244-4 n’existe que sur l’enveloppe originale; elle doit être commandée et consultée en personne. Elle fait état de la présence du porteur et, à ma grande surprise, donne même son nom : il s’agit de Jim Jones, de Calgary. J’ai rarement vu ce type de renseignements au sujet des images consultées au cours de ma recherche. Je me demande d’ailleurs pourquoi cette photo est beaucoup mieux décrite que les autres. N’ayant pas de liste complète des légendes et des notes des photographes, nous ne pouvons pas tirer de grandes conclusions.

Il ne faut pas hésiter à s’éloigner temporairement de nos intentions de recherche quand on peut jumeler des images à leurs descriptions complètes, surtout si elles comprennent les noms et d’autres renseignements sur les personnes photographiées. Les histoires méconnues que cachent ces photos méritent bien plus qu’une courte description de base.

Ce processus s’appelle la description réparatrice. Il consiste à rectifier les pratiques et à corriger les données qui ont pour effet d’exclure, de réduire au silence ou de mal décrire des personnes ou des récits dans les archives. Il peut être mené à grande échelle ou sur une seule photographie à la fois et se poursuivra indéfiniment. Quand j’ai découvert des images de porteurs et d’autres employés noirs des chemins de fer de l’époque de la Deuxième Guerre mondiale, j’ai transmis mes notes à mes collègues du balado de Bibliothèque et Archives Canada Voix dévoilées : Confidences de porteurs. Nous avons ensuite pu compter sur la collaboration d’autres collègues s’intéressant à cette période, à la présence de porteurs sur des photos du ministère de la Défense nationale et à la façon dont ils sont représentés dans la collection.

Ne manquez pas la suite de cette série de blogues!


Rebecca Murray est conseillère en programmes littéraires au sein de la Direction générale de la diffusion et de l’engagement à Bibliothèque et Archives Canada.