Les navires de la Dominion Bridge : un récit illustrant le travail d’équipe, la technologie et l’innovation pendant la Deuxième Guerre mondiale

English version

Par Rian Manson

En 1940, après l’évacuation de Dunkerque, la situation en Grande-Bretagne est sombre. La marine allemande, qui mène ses opérations depuis les côtes françaises, coule les navires de charge à un rythme de 50 par mois. Au début de la Deuxième Guerre mondiale, le Canada ne dispose que de 41 navires de charge en bon état de navigabilité. Il faut, à tout prix, construire des navires de charge rapidement pour assurer l’approvisionnement continu de la Grande-Bretagne, tant en matériel de guerre qu’en aliments.

Affiches de la Deuxième Guerre mondiale montrant des navires de charge.

Pour maintenir le moral de la population, des affiches comme celles-ci sont apposées dans les chantiers navals de la Dominion Bridge et de la United Shipyards, à Montréal. Canadian Transportation, novembre 1941, p. 638 et 639, C-204-4*C-205-1 (OCLC 1080360026).

L’ensemble de l’industrie de la construction navale se prépare donc à la production de guerre et le Canada a besoin d’un nouveau et grand chantier naval pour satisfaire à l’énorme commande de 200 navires de charge de 10 000 tonnes. Pour ce projet crucial, le gouvernement fédéral signe des contrats avec tous les constructeurs navals du Canada – de la Nouvelle-Écosse à la Colombie-Britannique – afin qu’ils construisent des embarcations, des remorqueurs et des navires de charge.

Un navire de charge passant sous un pont avec une ville en arrière-plan.

Un navire de charge de 10 000 tonnes de type North Sands passant sous le pont Jacques-Cartier à Montréal, en route vers la mer (OCLC 321000549).

Le ministre des Munitions de l’époque, C.D. Howe, contacte alors la Dominion Bridge Company de Montréal pour lui demander de mettre à contribution sa vaste usine et son équipement pour aider à la construction de navires. Depuis 1882, la Dominion Bridge fournit aux sociétés ferroviaires et aux provinces canadiennes des ponts de toutes sortes. Dans ses immenses ateliers, elle construit d’énormes composantes en fer et en acier pour de vastes projets hydroélectriques. Elle fournit aussi à de multiples villes les poutres en acier de construction nécessaires à l’édification de magasins, de maisons et d’hôtels.

Dessin technique indiquant les dimensions et les mesures d’une plaque signalétique en laiton coulé.

Dessin technique d’une plaque signalétique en laiton coulé pour les turbines à vapeur marines des navires de charge de 4 700 tonnes construits dans les ateliers de la Dominion Bridge à Lachine, R5607, vol. 2073 (MIKAN 5183995).

Depuis l’obtention de son premier contrat avec le Chemin de fer Canadien Pacifique en 1882, la Dominion Bridge a développé une immense usine d’assemblage équipée d’appareils spécialement conçus pour la fabrication d’acier lourd, de produits en fer et de chaudières. L’emplacement de Lachine est idéal. En plus d’avoir accès à un réseau de transport maritime et un accès direct au réseau ferroviaire de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, l’usine est alimentée par un réseau électrique haute tension qui permet le soudage à la baguette de grandes pièces. Il n’y a qu’un seul problème : la compagnie n’a jamais envisagé de construire un chantier naval, et encore moins des navires océaniques. Elle a besoin des conseils d’une source digne de confiance. C’est ainsi que la compagnie Fraser Brace Ltd., une autre entreprise canadienne respectée qui possède une vaste expérience de la construction de gros navires, s’associe à la Dominion Bridge. Celle-ci l’aidera à construire et à exploiter le nouveau chantier naval de la United Shipyards Ltd. dans le bassin Bickerdike, à Montréal.

Un groupe de personnes se tenant debout sur un quai avec un chantier naval et des grues en arrière-plan.

Grâce aux nombreux mâts de charge, le chantier naval de la United Shipyards, dans le bassin Bickerdike, peut continuer de construire des navires durant les mois d’hiver, même lorsque le fleuve Saint-Laurent est gelé (e000761650).

Les travaux du chantier naval débutent en janvier 1942 et, à peine quatre mois plus tard, la quille du premier navire de charge est installée. Il s’agissait du plus récent et du plus vaste chantier naval à production unique au Canada. L’équipement nécessaire – mâts de charge, grues et locomotives – est acquis grâce à des prêts à long terme consentis par la direction du port et par les compagnies Fraser Brace Ltd., Dominion Bridge et Montreal Locomotive Works. Une source prétend même que les chariots ferroviaires ont été habilement volés au Chemin de fer Canadien Pacifique et à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada pour permettre à cette gigantesque entreprise de fonctionner.

Diagramme en élévation illustrant l’emplacement des diverses parties du navire de charge.

Diagramme en élévation montrant le profil d’un navire de charge de type North Sands de 10 000 tonnes, réalisé par la Dominion Bridge, Lachine, novembre 1943, R5607, vol. 1612 (MIKAN 5183995).

La Dominion Bridge élabore un plan de préfabrication unique pour la construction de navires de 10 000 tonnes et de navires de charge plus petits de 4 700 tonnes. Dans les ateliers principaux de Lachine, les ouvriers soudent en une seule pièce la section arrière et le coqueron avant du navire. Ces sections terminées sont ensuite acheminées par wagons plats au bassin Bickerdike où la section arrière et le coqueron avant sont mis en place et rivetés à la coque à l’aide de mâts de charge construits sur mesure.

Juxtaposition d’une photo en gros plan et d’un dessin technique de la poupe et de l’hélice d’un navire.

Du dessin à l’atelier de construction navale : le plan de préfabrication de l’assemblage arrière élaboré par la Dominion Bridge permet d’accélérer la production en série de navires au chantier naval de la United Shipyards, à Montréal (document photographique : e000761682; dessin : R5607, vol. 1613, MIKAN 5183995).

La Dominion Bridge sait tirer profit de son expérience dans le domaine du soudage de ponts et de chaudières. Les cloisons intérieures, les cabines, les cales à marchandises et l’accastillage intérieur sont soudés. Le soudage permet d’économiser un temps et des matériaux précieux et de réduire le poids de chaque navire.

Les économies ainsi réalisées permettent au chantier naval de la United Shipyards d’établir un nouveau record canadien en termes de vitesse de construction de navires. De fait, 58 jours suffisent, depuis la pose de la quille jusqu’aux dernières touches de peinture, pour terminer le navire, soit un mois de moins que le précédent record. Le navire de charge arrive en Grande-Bretagne pleinement chargé, 86 jours après la mise en place de la quille. Le ministre C.D. Howe fait l’éloge de la United Shipyards comme étant le chantier naval où se construisent les navires de 10 000 tonnes les moins chers au Canada.

Vue de la proue du navire et d’officiers de marine au garde-à-vous.

Les invités d’honneur sur l’estrade aménagée pour la cérémonie de baptême et de lancement du navire de charge de 10 000 tonnes, le S.S. Fort Esperance, au chantier naval de la United Shipyards Ltd. (e000761721).

Un style qui lui est propre

Le 15 juillet 1944, par un après-midi ensoleillé, la Dominion Bridge lance un nouveau type de navire de charge, le « Canadien », depuis la cale de halage du chantier naval de la United Shipyards. De conception identique à celle du navire britannique de type North Sands de 10 000 tonnes, ce nouveau navire présente toutefois quelques améliorations. Il possède notamment des chaudières pouvant être alimentées au pétrole ou au charbon avec transition rapide d’un combustible à l’autre, des postes d’équipage améliorés, ainsi que des écoutilles et des ponts plus résistants pouvant supporter des charges plus lourdes.

La quasi-totalité de la fabrication est réalisée dans les ateliers de la Dominion Bridge. Très peu de travaux d’équipement sont confiés en sous-traitance, car la compagnie sait mettre à profit ses techniques créatives de soudage de ponts. Des gabarits de soudage spéciaux construits à l’interne et dotés de moteurs électriques facilitent les travaux de soudage complexes et permettent d’effectuer des soudures à plat. Puis, l’utilisation de plaques d’assise du moteur soudées plutôt que de boulons permet de réduire considérablement les vibrations et d’accroître la résistance aux chocs causés par les explosions en mer.

Un groupe de femmes au garde-à-vous à côté de la coque d’un navire de charge.

Femmes officiers du Service féminin de la Marine royale du Canada alignées sur une allée lors de la cérémonie de baptême et de lancement du S.S. Fort Esperance au chantier naval de la United Shipyards Ltd., à Montréal (e000761719).

Une personne soude une grande pièce de métal.

Un soudeur à l’usine de Lachine utilisant un gabarit rotatif spécial pour souder la plaque d’assise en acier d’un moteur à vapeur marin alimentant les navires de charge de 10 000 tonnes (OCLC 321000549).

Sur les 403 navires construits au Canada (y compris ceux construits par la Dominion Bridge), 112 ont été coulés et 18 ont été lourdement endommagés par l’action ennemie. De plus, avant la fin de la guerre, 1 146 marins marchands canadiens ont perdu la vie en haute mer et de nombreux autres ont subi des traumatismes dans des camps de prisonniers ennemis.

La construction de navires de charge est un aspect oublié du rôle joué par le Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale. Sans l’effort humain herculéen de la Dominion Bridge Company et d’autres constructeurs de navires du Canada, on peut se demander si la Grande-Bretagne aurait survécu à la guerre. Aurait-elle été affamée et forcée de se rendre à l’Allemagne nazie?

Ce blogue n’aurait pu être produit sans les remarquables dessins techniques du fonds Dominion Bridge Company de Bibliothèque et Archives Canada.

Autres ressources

  • A Bridge of Ships: Canadian Shipbuilding during the Second World War, par James S. Pritchard, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2011 (OCLC 693809715)
  • Canadian Transportation, janvier 1941 à décembre 1945 (OCLC 1080360026)
  • Of Tasks Accomplished : The story of the Accomplishments of the Dominion Bridge Company Limited and its Wholly Owned Subsidiaries in World War II, par la Dominion Bridge Company Limited, 1945, Montréal: Dominion Bridge Co. (OCLC 321000549)
  • Fonds Dominion Bridge Company, R5607, vol. 1612, 1613 et 2073 (MIKAN 5183995)
  • Canadian Merchant Ship Losses, 1939-1945, par Robert C. Fisher, Le marin du nord (en anglais seulement)

Rian Manson est adjoint en archivistique à la Direction générale des archives privées et du patrimoine publié de Bibliothèque et Archives Canada.

Premier sous-marin allemand coulé par la Marine royale du Canada

Par Renaud Séguin

Le 10 septembre 1941, les équipages du Navire canadien de Sa Majesté (NCSM) Chambly et du NCSM Moose Jaw, deux corvettes de la Marine royale du Canada (MRC), réussirent à détecter et à couler le U-Boot U-501 au large du Groenland, alors que ce dernier s’apprêtait à prendre en embuscade un convoi (SC-42) de navires alliés partis de Sydney, en Nouvelle-Écosse, pour ravitailler la Grande-Bretagne.

Les deux corvettes devaient se livrer à des exercices en mer afin de permettre à leurs équipages largement formés de nouvelles recrues de se familiariser avec la lutte anti-sous-marine. Devant la menace grandissante des sous-marins allemands, les deux navires ont vite dû mettre un terme à leur entraînement pour venir en renfort au convoi allié.

Photographie en couleurs d’une corvette de la Marine royale du Canada voguant à plein régime. Une épaisse fumée noire s’échappe d’une cheminée. Sur le bateau de couleur grise, le numéro K145 est écrit en noir.

Le NCSM Arrowhead, une corvette de la même classe (Flower) que le NCSM Chambly et le NCSM Moose Jaw (MIKAN 4821042).

Un des experts de la MRC dans la lutte anti-sous-marine, le capitaine de frégate James D. « Chummy » Prentice, commandant du Chambly et du détachement, a vite décidé qu’il valait mieux aller patrouiller au-devant du convoi pour surprendre les sous-marins allemands. Grâce aux talents de navigateur du second maître A. F. Pickard, les deux corvettes purent rejoindre la zone choisie par Prentice en moins de six jours.

Vers 21 h 30, le Chambly détecta un contact sur son ASDIC (mieux connu aujourd’hui sous le terme de sonar, son appellation américaine). Rapidement, les marins du Chambly se mirent en branle pour lancer une salve de cinq grenades anti-sous-marines. Malgré quelques erreurs dues à l’inexpérience, les deux premiers projectiles endommagèrent suffisamment le sous-marin pour le forcer à faire surface près du Moose Jaw.

Photographie noir et blanc montrant deux hommes en uniforme de la marine posant devant la tourelle avant de leur corvette. Entre les deux hommes, une image peinte sur la tourelle représente un bulldog se tenant debout avec un chapeau de marin et des gants de boxe.

Le second maître A. F. Pickard et l’artificier en chef de la salle des machines W. Spence, à St. John’s (Terre-Neuve), en 1942. Les deux hommes ont joué un rôle clé lorsque la corvette NCSM Chambly a coulé le sous-marin allemand U-501, le 10 septembre 1941. (MIKAN 3576697)

Surpris par l’apparition du U-Boot, les marins du Moose Jaw ne furent pas en mesure de faire feu immédiatement avec leur canon à tir rapide et leurs mitrailleuses. Le lieutenant F. E. Grubb, commandant du Moose Jaw, donna l’ordre de foncer vers le sous-marin pour le percuter. Loin d’être entièrement improvisée, cette manœuvre fut souvent tentée par des corvettes canadiennes. À courte distance, c’était la meilleure option pour couler les minces cibles mouvantes offertes par les U-Boot allemands voguant dans une mer agitée en pleine nuit.

Avant la charge, le lieutenant Grubb fut surpris de voir le commandant allemand abandonner son sous-marin pour sauter sur le pont du Moose Jaw! Ce n’est toutefois qu’après avoir été percuté par la corvette, tout en essuyant le tir de son canon, que le U-Boot cessa sa course.

Photographie en noir et blanc montrant un sous-marin et une baleinière côte à côte. Des membres d’équipage du sous-marin se trouvent sur le pont. Les personnes à bord de la baleinière sont assises.

Une équipe d’abordage du NCSM Chilliwack dans une baleinière à côté du sous-marin allemand U-744, le 6 mars 1944 (MIKAN 3623255)

Une équipe d’abordage du Chambly commandée par le lieutenant E. T. Simmons tenta alors de prendre le contrôle du sous-marin. Le détachement dut abandonner la tentative puisque le U-Boot coulait rapidement. Un des marins du Chambly, William Irvin Brown, se noya au cours de l’opération. À l’instar de plus de deux cents membres d’équipage des quinze navires marchands du convoi SC-42 coulés par les sous-marins allemands, le Torontois, père d’une fillette d’à peine un an, sacrifia donc sa vie pour ravitailler la Grande-Bretagne et les forces armées qui la protégeaient. Plusieurs autres Canadiens perdirent ainsi la vie au cours de la Bataille de l’Atlantique.

Ressources connexes


Renaud Séguin est archiviste militaire au sein de la Division des archives gouvernementales à Bibliothèque et Archives Canada.

La bataille de l’Atlantique (1940-1943)

Bien que l’océan Atlantique ait été le théâtre de batailles navales tout au long de la Seconde Guerre mondiale, c’est principalement entre 1940 et 1943 que la bataille de l’Atlantique fit rage, opposant les Alliés à la Marine allemande et à ses redoutables sous-marins, les U-boot.

Avec 90 $, nous avons pu anéantir ce sous-marin! Campagne des timbres d’épargne de guerre, 1943.

Avec 90 $, nous avons pu anéantir ce sous-marin! Campagne des timbres d’épargne de guerre, 1943. Source

L’enjeu de la bataille de l’Atlantique consistait à défendre les convois de marchandises contre la Marine allemande qui tentait de leur bloquer le chemin. La majorité de ces convois provenaient de l’Amérique du Nord et se dirigeaient vers la Grande-Bretagne.

Un convoi dans le bassin de Bedford, près d’Halifax, 1er avril 1942.

Un convoi dans le bassin de Bedford, près d’Halifax, 1er avril 1942. Source

La bataille de l’Atlantique vit les U-boot pénétrer jusque dans les eaux territoriales canadiennes : la Marine royale canadienne participa activement à la bataille, protégeant farouchement sa marine marchande.

Le vraquier SS Rose Castle, parti en convoi et torpillé par un U-boot le 2 novembre 1942 près de Wabana, Terre-Neuve.

Le vraquier SS Rose Castle, parti en convoi et torpillé par un U-boot le 2 novembre 1942 près de Wabana, Terre-Neuve. Source

Cependant, malgré tous les efforts, plus de 70 navires marchands canadiens furent coulés par l’ennemi, faisant plus de 1600 morts parmi les marins canadiens. On considère malgré cela que les Alliés remportèrent la bataille de l’Atlantique, car les convois de marchandises vers l’Angleterre ne furent pas interrompus, aidant ainsi à fournir l’équipement essentiel à la victoire. Visitez le site du Musée canadien de la guerre qui fournit plus de détails sur cette bataille de la Seconde Guerre mondiale.

La participation de la Marine royale canadienne est très bien documentée dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada. Vous trouverez ci-dessous quelques pistes de recherche.

En outre, comme la majorité des convois en partance du Canada quittaient Halifax, on retrouve une grande quantité de documents produits par le Service de contrôle naval d’Halifax. On peut consulter, par exemple, les dossiers suivants :

Pour voir plus de photographies, veuillez consulter notre album Flickr.

Résumé des commentaires reçus en anglais jusqu’au 30 septembre 2013

  • Un usager a demandé quel est le délai avant de recevoir un “paquet généalogique”. BAC confirme qu’il y a des délais et s’en excuse. Pour savoir l’état d’une requête, on lui suggère de communiquer avec notre division de l’AIPRP et des documents du personnel par courrier électronique : ATIPD@bac-lac.gc.ca, ou par téléphone : 613-996-5115 ou 1 866 578-7777 (sans frais au Canada et aux États-Unis).