Par Anik Laflèche
Si votre nom de famille est Schneider, Sigman, Henry ou André, ou s’il contient la particule « von », vous avez peut-être des ancêtres allemands.
En 1776, les Treize colonies déclarent l’indépendance des États-Unis d’Amérique face à la Grande-Bretagne. Plusieurs raisons motivent cette déclaration, notamment des impôts excessifs et le manque de représentation au Parlement. La guerre civile éclate dans le centre de l’Amérique du Nord, opposant George Washington à Benedict Arnold, et John Adams à Samuel Adams. Cette terrible guerre civile prend fin en 1783 lorsque la Grande-Bretagne accepte l’indépendance de ses anciennes colonies. Les États-Unis d’Amérique deviendront un pays et la Grande-Bretagne conservera ses colonies nordiques, aujourd’hui le Canada. Cet événement déclenche une vague d’immigration massive (près de 70 000 personnes, dont des citoyens britanniques, des membres des Premières Nations et les personnes esclavagées libérées) vers ce qui constitue aujourd’hui les provinces de Québec, de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse.

United Empire Loyalists Landing at the Site of the Present City of Saint John, New Brunswick, 1783 par John David Kelly, reproduit dans le calendrier 1935 de l’association Confederation Life (e011154201)
De très nombreuses familles arrivent durant cette vague de colonisation massive; cependant, les ancêtres de plusieurs Canadiens immigrent plutôt à l’occasion d’un mouvement de population simultané, mais plus petit et moins perceptible, qui emmène au pays non pas des Français, des Américains, des Anglais ou des membres des Premières Nations, mais étonnamment des mercenaires allemands, aussi connus sous le nom de Hessois.
Mais revenons un peu en arrière dans notre histoire des rebelles américains et des loyalistes britanniques. De la fin des années 1770 au début des années 1780, le roi George III d’Angleterre, confronté à la guerre dans ses colonies, embauche 30 000 soldats allemands (ce qui représente un soldat allemand pour 22 Québécois!) et les envoie dans le Nouveau Monde combattre les colonies rebelles. Si plusieurs de ces régiments de mercenaires s’en vont directement dans les Treize colonies pour livrer bataille, certains, comme le régiment Hesse-Hanau, sont déployés au Canada pour protéger la frontière; ils participent activement au conflit à partir des forts de l’Ontario et du Québec.

Transcription d’une lettre du War Office provenant de l’officier de Looz à propos des mouvements du régiment Lossberg, 1783 (MG13 WO28, vol. 8, p. 224, microfilm C-10861)
Bien que les mercenaires allemands et les loyalistes se battent vaillamment, la balance du pouvoir penche finalement en faveur des patriotes américains. Après la guerre, les mercenaires allemands se voient offrir le choix de retourner chez eux en Allemagne ou de s’établir au Canada. Plusieurs soldats décident de rester au Canada; ils s’établissent dans le Bas et le Haut-Canada et en Nouvelle-Écosse; ils apprennent le français ou l’anglais, épousent des jeunes filles de la région et s’intègrent à leur société d’accueil.
Mais pourquoi tant de familles canadiennes ont-elles oublié leurs ancêtres allemands? N’est-il pas facile d’identifier un nom allemand dans un arbre généalogique? Pas nécessairement, car au 18e et au 19e siècle, le nom d’une personne pouvait changer plusieurs fois au cours de sa vie. Les noms, en particulier lorsqu’ils étaient dans une langue étrangère, étaient écrits au son et, par conséquent, pouvaient varier énormément. Dans le cas des mercenaires, c’était les prêtres français ou anglais dans les paroisses locales, qui enregistraient les noms lors des mariages, des naissances et des décès. Lorsqu’ils entendaient un nom allemand, il leur arrivait de le franciser ou de l’angliciser selon ce qu’ils avaient compris. Ainsi, Heinrich Kristof Sieckmann, un mercenaire allemand né à Vlotho en Allemagne, qui servait dans le régiment Hesse-Kassel, est devenu Henry Christopher Sigman et André Christophe Sicman. Quelques générations plus tard, d’autres variations orthographiques sont apparues, telles que Ciegman, Sicman, Sickman, Sigman, Sickamen, Silchman et même Tieckman. Avec cette nouvelle orthographe, Heinrich Sieckmann, maintenant Henry Sigman, pouvait facilement être confondu sur papier avec un immigrant britannique.

War Office 28 : liste nominative du 1er bataillon Hesse-Hanau, janvier 1783 (MG13 WO28, vol. 8, p. 205, microfilm C-10861)
Alors si votre nom est Henry ou André (Heinrich), Sigman (Sieckmann) ou Schneider, ou si vous êtes simplement curieux d’en apprendre davantage sur les soldats allemands qui sont apparus tout à coup dans la série Turn diffusée sur Netflix, venez à Bibliothèque et Archives Canada. Nos collections comprennent une quantité surprenante de documents d’archives relatifs aux mercenaires allemands ayant combattu durant la révolution américaine. Nous avons des listes nominatives de plusieurs régiments dans les groupes de manuscrits MG11 et MG13, des lettres écrites par des officiers allemands dans les papiers Haldimand (MG21), ainsi que des ordres, de la correspondance et des journaux dans le MG23. Plusieurs rouleaux de microfilms contenant ces documents ont été numérisés et peuvent être consultés librement sur le site Héritage. Nous possédons également des sources publiées sur nos ancêtres allemands accompagnées d’analyses historiques, de listes de soldats et de courtes biographies; la plupart sont dans notre section Généalogie. Pour en savoir plus sur nos fonds documentaires relatifs aux mercenaires allemands, veuillez consulter le site Immigration : Allemand.
Anik Laflèche est assistante étudiante de projet dans la division des services aux publiques.