Premier sur les Lacs : le NCSM Griffon

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Par Dylan Roy

On tombe parfois sur des documents qui, au premier coup d’œil, semblent ne faire aucun sens. C’est ce que je me suis dit quand j’ai lu la description archivistique de la série HMCS Griffon. Comme le sigle anglais HMCS, en français NCMS, signifie « Navire canadien de Sa Majesté » (vous le trouverez tout comme bien d’autres abréviations militaires utilisées dans les dossiers de service sur le site Web de Bibliothèque et Archives Canada, un outil merveilleux pour ceux qui ne sont pas familiers avec ces termes), il n’est pas surprenant que j’aie supposé que ces dossiers parlaient d’un navire.

Contre toute attente, chers moussaillons, j’ai appris à la lecture des dossiers que le « navire » était en fait une installation à Port Arthur, aujourd’hui Thunder Bay.

Photographie en noir et blanc de deux longs bâtiments situés l’un en face de l’autre et séparés par une rue. Au bout de la rue, un camion passe devant un autre bâtiment, qui ressemble à une maison.

Photo du NCSM Griffon. Source : gouvernement du Canada, Sécurité nationale et défense, Historique des navires – NCSM Griffon. Crédit : Courtoisie de la Marine royale canadienne.

Comme il est indiqué dans la série : « Au début de la Seconde Guerre mondiale, des membres de la Réserve navale ont loué un garage inoccupé. Une politique de mise en service de toutes les “frégates en pierre” est entrée en vigueur, et le garage est ainsi devenu le NCSM Griffon en 1941. » (traduction). Cette information m’a incité à chercher des sources secondaires pour en savoir plus sur les frégates en pierre.

En termes clairs, une frégate en pierre est un navire militaire établi sur la terre ferme. L’utilisation inaugurale de ce terme officieux est attribuable aux Britanniques, qui souhaitaient se soustraire à des obligations légales les empêchant de gouverner « sur terre ». Donc, pendant l’une de leurs nombreuses guerres avec les Français, les Britanniques ont décidé de mettre en service en tant que navire l’île Diamond Rock. On comprend maintenant un peu mieux le titre si déconcertant du NCSM Griffon.

Insigne en forme d’anneau surmonté d’une couronne. Le mot GRIFFON est inscrit sous la couronne. À l’intérieur de l’anneau, il y a un griffon (créature mythique) qui fait face à la gauche.

Insigne officiel du NCSM Griffon. Source : gouvernement du Canada, Sécurité nationale et défense, Liste des navires en service – NCSM Griffon. Crédit : Courtoisie du ministère de la Défense nationale.

En consultant l’Historique des navires dans la section « Sécurité nationale et défense » du site Web du gouvernement du Canada, j’ai appris que la création du NCSM Griffon découle de différents facteurs, notamment de l’association de l’établissement avec le programme des Cadets de la Marine et de l’influence de l’industrie du transport maritime sur la région des Grands Lacs. Le NCSM Griffon a été mis en service en 1940 et installé dans son emplacement actuel, à Thunder Bay, en 1944. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les marins nouvellement recrutés qui quittaient les Prairies en route vers l’est passaient par le NCSM Griffon, ce qui montre l’importance géographique de cette installation au Canada.

Après avoir pris connaissance de cette information, j’ai pu faire une meilleure contextualisation des documents de notre collection d’archives à Bibliothèque et Archives Canada – un autre exemple de l’aide que les sources secondaires peuvent procurer aux chercheurs pour mieux comprendre les documents d’archives (sources primaires).

Le premier document sur lequel je suis tombé concernant le NCSM Griffon était une description au niveau de la série, grâce à laquelle j’ai découvert que ladite série ne comportait que cinq descriptions au niveau du dossier ainsi qu’une acquisition connexe.

À l’exception de l’acquisition, tous les dossiers étaient ouverts. J’ai donc décidé de les examiner. Par chance, tous les dossiers étaient dans la même boîte d’archives, le volume 11469 (une boîte d’archives et un volume d’archives désignent la même chose).

Une fois le volume commandé, j’ai pu y fouiller pour découvrir les trésors archivistiques que je vous décrirai maintenant.

Le premier dossier, HMCS GRIFFON : Ceremonies and functions, Official opening of HMCS GRIFFON, a été un bon point de départ, puisqu’il présente des discussions intéressantes sur l’ouverture de l’installation, en 1944, et sur l’origine de son nom. Le NCSM Griffon doit son nom à un navire, Le Griffon, qui a été construit par le célèbre explorateur français René-Robert Cavelier, Sieur de La Salle.

Gravure de personnes construisant un bateau près d’un plan d’eau entouré d’arbres, avec une montagne à l’arrière-plan.

Construction du navire Le Griffon de Cavelier de La Salle (c001225).

Dessin en noir et blanc d’un homme aux longs cheveux bouclés tombant sur ses épaules.

René-Robert Cavelier, Sieur de La Salle (c007802).

Le Griffon a levé l’ancre en 1679 pour participer au commerce des fourrures alors florissant. Il a été le premier grand bateau à voiles à naviguer dans le secteur supérieur des Grands Lacs, une réalisation qui a inspiré la devise du NCSM Griffon, Prima in lacubus (« Premier sur les Lacs »). Pour son voyage inaugural, Le Griffon est parti d’une île près de Green Bay, dans le Wisconsin; le navire n’a jamais été revu par la suite, et ce mystère a piqué la curiosité de nombreuses personnes, y compris le commandant du NCSM Griffon, H. S. C. Wilson.

On a remis à Wilson un boulon provenant d’une épave, présumée être Le Griffon, découverte en 1931 dans le détroit de Mississagi près de l’île Manitoulin. Toutefois, un récit oral autochtone a aussi fait surface, selon lequel la véritable épave du navire se trouvait à proximité de l’île Birch, près de « Lescheneaux » ou « Les Cheneaux ». C. H. J. Snider, du Toronto Evening Telegram, a répondu à un télégramme de Wilson, en réfutant les affirmations au sujet de cette dernière épave. Cet échange montre tout l’intérêt que certains militaires du NCSM Griffon portaient à l’histoire du navire lié au nom de leur installation. À ce jour, l’endroit où se trouve l’épave du navire Le Griffon reste un mystère.

Ces télégrammes ne constituent qu’une partie du dossier, qui contient d’autres renseignements dignes de mention, comme la liste des invités à l’inauguration du NCSM Griffon et des détails sur les préparatifs pour cet événement.

Autre dossier fascinant de la série : HMCS GRIFFON : Reports of proceedings. Ces comptes rendus vraiment remarquables témoignent des activités quotidiennes des différents services d’un établissement militaire. Par exemple, grâce à l’information fournie par le service des sports, j’ai pu déterminer que les sports les plus populaires sur le NCSM Griffon étaient le basketball, le volleyball et le badminton. Dans un compte rendu de mai 1955, j’ai lu que le baseball était moins populaire : « On a tenté d’organiser des parties de baseball, mais le niveau d’intérêt était insuffisant » (traduction).

Dans un compte rendu affiché par les services de santé en février 1955, on constate l’impact que pouvait avoir le mariage sur la carrière de certaines militaires : « Wren Kingsley a été libérée du service à la suite de son récent mariage […] La lieutenante Reta Pretrone s’est mariée ce mois-ci; pour cette raison, elle a manqué plusieurs exercices. » (traduction).

Ces comptes rendus peuvent nous éclairer sur la gestion opérationnelle de l’établissement naval ainsi que sur des activités plus banales qui s’y sont déroulées.

Comme beaucoup de militaires ont servi au NCSM Griffon, les accidents étaient inévitables. L’extrait suivant, tiré du dossier HMSC GRIFFON : General information, RN personnel, nous raconte avec d’horribles détails une commission d’enquête menée en 1945 à la suite d’un malheureux accident dans l’installation :

« Commission : Que faisiez-vous, c’est-à-dire, que s’est-il passé?

Réponse : Du travail de machiniste. Je découpais et je rainurais quelques pièces de bois pour faire des boîtes. C’était une scie mécanique de deux pouces. Du bois a été mis en travers du banc; il dépassait d’environ trois pieds sur le côté et il y avait environ un pied entre l’extrémité du bois et le mur. Presque tout le bois était mouillé. Ce morceau était assez mouillé tout du long mais le bout était sec. Pendant que je sciais la pièce, un jeune garçon a voulu passer derrière moi. J’ai tourné la tête pour m’assurer qu’il ne me bousculerait pas, et c’est alors que la scie est arrivée à la partie sèche du morceau de bois qu’elle a coupé très rapidement, entraînant ma main et sectionnant mes doigts. » (traduction)

Voici la conclusion de la commission, à l’issue de l’enquête :

« Le conseil d’administration est d’avis que le soutier BLACKMORE E a subi cet accident lors d’un congé, et que l’accident n’est donc pas lié au service naval. Les autorités navales canadiennes autorisent les matelots à travailler pendant leurs congés en raison de la pénurie de main-d’œuvre. Il est déterminé qu’il était justifié pour le matelot d’accepter ce travail comme il est lié à sa profession civile et que l’accident n’est pas dû à l’inexpérience du matelot, mais plutôt, en grande partie, au fait qu’aucun dispositif de protection ou de sécurité n’a été fourni pour cette machine. » (traduction)

Les procédures de la commission d’enquête donnent un aperçu de certaines des pratiques aux Forces navales, par exemple l’embauche de matelots (jeunes militaires) au lieu de militaires en service en cas de pénurie de main-d’œuvre. Cela révèle également certaines des mesures de sécurité, ou lacunes de sécurité, au NCSM Griffon.

Les dossiers de la série sur le NCSM Griffon dévoilent des faits intéressants sur la frégate en pierre. Ils donnent des descriptions générales et vivantes de plusieurs événements survenus dans l’installation au fil du temps, et montrent comment il peut être utile d’amalgamer des sources secondaires et des sources primaires. Cela étant dit, dans mon esprit, le NCSM Griffon restera toujours le « Premier sur les Lacs »!


Dylan Roy est archiviste de référence à la Direction générale de l’accès et des services à Bibliothèque et Archives Canada.