La vie du carabinier Sulo W. Alanen

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Par Ariane Gauthier

Photographie sépia de Sulo W. Alanen, âgé d’environ 30 ans, publiée dans un journal finlandais annonçant son décès.

Photo de Sulo W. Alanen telle qu’elle est parue dans un journal finlandais annonçant son décès. (Source : Mémorial virtuel de guerre du Canada)

L’histoire de Sulo W. Alanen prend racine dans le village nord-ontarien de Nolalu, une petite localité près de Thunder Bay, qui a vu le jour grâce à l’arrivée des colons finlandais dans la région. Ceux-ci ont sans doute été attirés par l’industrie florissante du bois, le potentiel pour les exploitations agricoles, et la commodité du chemin de fer traversant Nolalu.

Matti Alanen, originaire de Jurva, en Finlande, faisait partie de ces immigrants qui ont bravé le sort en s’embarquant vers le Canada en 1904, poussés par la promesse d’une vie meilleure. Comme beaucoup de compatriotes, il s’installe à Nolalu, une communauté finlandaise en pleine croissance, fondée seulement quatre ans plus tôt. Il y trouve une certaine familiarité dans un pays étranger, entouré de voisins serviables finlandais. Matti choisit l’agriculture comme principal moyen de subsistance. En 1908, Hilma Lehtiniemi, originaire d’Ikaalinen, en Finlande, rejoint sa famille au Canada. À son arrivée à Nolalu, elle rencontre et épouse Matti, probablement vers 1910, comme le confirme le dossier militaire de Sulo, qui mentionne leur mariage en avril 1910 à Port Arthur, en Ontario.

Sulo, le troisième enfant et garçon du couple, est né le 13 mai 1914 à Silver Mountain, en Ontario, une petite localité minière près de Nolalu. La ferme familiale des Alanen semble avoir été située quelque part entre ces deux communautés, puisque le dossier de service de Sulo indique parfois qu’il réside à Silver Mountain, parfois à Nolalu.

Photographie en noir et blanc datant de 1888, montrant le village minier de Silver Mountain, entouré d’une vaste forêt et d’un paysage rural.

Village minier de Silver Mountain, 1888. (Source : a045569)

Sulo était l’enfant du milieu d’une fratrie de cinq. Le recensement de 1931 donne un aperçu de son enfance, en révélant que sa langue maternelle est le finnois. Cela n’a rien d’étonnant, étant donné que Nolalu était une communauté principalement finlandaise, où la majorité des colons partageaient cette même langue. Les déclarations de recensements des foyers voisins confirment cette réalité : presque tous les chefs de famille étaient originaires de Finlande et leur première langue était le finnois.

Extrait du recensement de 1931 pour Nolalu, présentant les membres de la famille Alanen, leur âge, leur sexe et leur lieu de naissance.

Capture d’écran du recensement de 1931 montrant la famille Alanen. Le nom de Sulo figure à la ligne 42 de la 5e page. (Source : e011639213)

L’anglais est venu plus tard pour Sulo, ses frères et sa sœur, probablement du simple fait qu’ils vivaient au Canada, puisqu’aucun d’eux n’a fréquenté l’école ni appris à écrire. Une grande partie de l’enfance de Sulo a été consacrée à travailler à la ferme familiale. À l’âge adulte, Sulo continue à travailler à la ferme de son père jusqu’à son enrôlement dans l’armée durant la Seconde Guerre mondiale. Son dossier de service mentionne également qu’il travaillait occasionnellement comme bûcheron pour accroître ses revenus.

Sulo est contraint de servir au 102ᵉ camp d’entraînement de base canadien à Fort William, conformément à la Loi sur la mobilisation des ressources nationales, adoptée en 1941 par le gouvernement King dans la volonté d’un compromis visant à éviter une conscription généralisée. Cette loi oblige les hommes valides à contribuer à la défense et à la sécurité nationale du Canada. Après avoir terminé les 30 jours de service exigés par ce programme, Sulo prend une décision déterminante pour la suite : il s’enrôle volontairement, le 4 mai 1943.

Son enrôlement dans l’Armée canadienne coïncide avec les préparatifs essentiels des Alliés pour les débarquements du jour J, planifiés pour l’été 1944. De sa formation initiale au Camp Shilo, au Manitoba, jusqu’à son embarquement pour l’Angleterre, Sulo a un objectif clair : se préparer en vue de l’assaut sur Juno Beach.

Le navire à bord duquel il voyage arrive en Angleterre le 11 avril 1944, seulement deux mois avant l’opération Overlord. Le 27 avril, Sulo est affecté aux Royal Winnipeg Rifles, précisément au 2ᵉ groupe canadien de renfort de base. Cette affectation signifie qu’il n’est pas destiné à participer à la première vague d’assaut. En tant que membre de la compagnie C, il doit rejoindre les Royal Winnipeg Rifles après que ceux-ci auront percé le mur de l’Atlantique.

Le journal de guerre des Royal Winnipeg Rifles nous donne un aperçu de ce que fut le jour J pour Sulo et ses camarades. Les troupes sont informées à 21 h, la veille, que l’opération Overlord est lancée, et toutes accueillent cette nouvelle avec un certain enthousiasme. Le journal note : « Il régnait une atmosphère d’attente et un sentiment d’aventure sur tous les navires cette nuit-là. Nous étions à la veille du jour pour lequel nous nous sommes entraînés si durement et si longtemps en Angleterre. »

La longue journée commence à 4 h du matin par une tasse de thé et une collation froide. Le ciel est couvert; la mer agitée. À 5 h 15, les chalands de débarquement sont abaissés du navire Llangibby Castle, encore à environ 15 kilomètres de la côte. À 6 h 55, la marine royale et le soutien aérien commencent à bombarder la côte française. Les chalands atteignent la plage vers 7 h 49, et les compagnies B et D débarquent en premier. Comme le note sombrement le journal de guerre : « Le bombardement n’ayant tué aucun Allemand ni réduit au silence une seule arme, ces compagnies durent attaquer leurs positions “à froid” – et le firent sans hésiter. »

Les compagnies A et C touchent terre un peu plus tard, vers 9 h. La compagnie C débarque sur les secteurs Mike et Love de Juno Beach, où la plage et les dunes environnantes sont sous l’intense feu des mortiers. Cloués sur place pendant environ deux heures, les soldats parviennent finalement à se regrouper et, aux côtés de la compagnie A, avancent vers leur objectif, Banville. En chemin, ils affrontent plusieurs îlots de résistance qu’ils parviennent à neutraliser, jusqu’au sud de Banville, où l’ennemi s’est solidement retranché dans une position stratégique.

Carte de Juno Beach illustrant les mouvements de la 3e Division d’infanterie canadienne le jour J. Les parties agrandies indiquent le secteur de débarquement et le trajet de la compagnie C des Royal Winnipeg Rifles.

Carte de Juno Beach montrant les mouvements de la 3e Division d’infanterie canadienne le jour J. (Source : e999922605-u)

La première journée de la bataille de Normandie conduit les membres survivants des Royal Winnipeg Rifles jusqu’à Creully, vers 17 h, achevant ainsi la phase II de l’opération Overlord. Peu de temps de repos leur est accordé, en particulier à la compagnie C, qui doit repousser une attaque de patrouille ennemie à 2 h du matin. Les soldats parviennent à contrer l’assaut et font 19 prisonniers allemands, ce qui leur permet de bénéficier d’un court répit jusqu’à 6 h 15, heure à laquelle ils reçoivent l’ordre d’avancer à nouveau. Leur prochain objectif est la ligne OAK à Putot-en-Bessin.

Cet épisode marque le début de l’expérience éprouvante des Royal Winnipeg Rifles dans les jours suivant le débarquement, marqués par l’une des résistances allemandes les plus féroces et acharnées.

Photographie prise par le lieutenant Bell, photographe militaire, montrant de l’artillerie canadienne camouflée avec des branchages, Carpiquet, France, 4 juillet 1944.

Numérotations militaires 35899-36430 – Europe du Nord-Ouest — Album 75 de 110. (Source : e011192295)

Le 5 juillet, les Royal Winnipeg Rifles atteignent péniblement le village de Marcelet, où ils se livrent à la bataille de Carpiquet. Bien que le dossier de service de Sulo ne donne pas de détails précis sur les blessures qui ont mis fin à sa vie ce jour-là, le journal de guerre rapporte que son régiment est constamment soumis aux bombardements ennemis et aux mitraillages aériens tout au long de la journée. Dans ce chaos, Sulo aurait été soit touché par des éclats d’obus, soit enseveli sous les décombres de bâtiments effondrés. Sulo n’est pas retrouvé immédiatement et est signalé comme disparu. Son corps est enfin retrouvé après une légère accalmie dans les combats le 5 juillet, et il est officiellement déclaré tué au combat.

Comme de nombreux Canadiens qui ont donné leur vie lors du débarquement et de la bataille de Normandie, Sulo W. Alanen repose au cimetière de guerre canadien de Bény-sur-Mer dans le Calvados, en France. Il y est enterré dans la parcelle XV. G. 16, où son nom restera gravé à jamais.

Pour en savoir plus sur le sujet :


Ariane Gauthier est archiviste de référence à la Direction générale de l’accès et des services à Bibliothèque et Archives Canada.

La vie du soldat Marcel Gauthier (partie 2)

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Par Ariane Gauthier

J’ai appris l’existence de Marcel Gauthier il y a quelques années, alors que je visitais le cimetière militaire canadien de Bény-sur-Mer, en France. Bien que nous ayons le même nom de famille, Marcel n’est pas mon ancêtre. J’ai cependant toujours conservé le souvenir de ce jeune homme – l’unique Gauthier reposant dans ce grand cimetière. Avec le lancement du recensement de 1931, j’ai enfin eu l’occasion d’en apprendre plus sur lui. Je souhaite maintenant vous faire découvrir comment les multiples ressources de Bibliothèque et Archives Canada (BAC) permettent de reconstituer la vie d’une personne, par exemple un ancêtre ou encore un soldat.

Cette deuxième partie du blogue traitera de la vie de Marcel Gauthier, de son enrôlement militaire jusqu’à sa mort.

Photo noir et blanc d’un jeune homme vêtu de son uniforme militaire.

Photo du soldat Marcel Gauthier alors âgé de 21 ans, publiée dans un journal d’Ottawa pour annoncer son décès outremer (Mémorial virtuel de guerre du Canada).

Le soldat Marcel Gauthier (Joseph Jean Marcel Gauthier)

  • C/102428
  • Le Régiment de la Chaudière, R.C.I.C.
  • Date de naissance : 18 novembre 1922
  • Date de décès : 15 juillet 1944
  • Âge au moment du décès : 21 ans

Son dossier militaire est disponible à BAC sur la base de données des Dossiers de service des victimes de guerre, 1939 à 1947.

Peu de temps après s’être enrôlé, le 29 janvier 1943, Marcel quitte Ottawa pour commencer son entraînement à Cornwall, sans se douter qu’il ne reverra jamais sa ville natale.

Malgré les convictions qui l’ont poussé à s’engager dans l’armée, Marcel n’est pas un soldat modèle. À Cornwall, il quitte son lieu d’affectation, l’hôpital du camp, sans permission officielle. Son absence de sept jours fait qu’on lui impose des mesures disciplinaires sous forme de sanctions pécuniaires, soit la perte de trois jours de salaire, pour avoir été AWOL (absent without official leave ou « absent sans permission officielle »). Le reste de son entraînement se déroule sans autre incident. Le 1er avril 1943, Marcel est transféré à la base de Valcartier, où il intègre l’unité d’infanterie des Voltigeurs de Québec. Le 11 juillet 1943, Marcel embarque sur un bateau à destination de l’Angleterre, où il va s’entraîner aux côtés de 14 000 autres soldats canadiens en prévision du débarquement de Normandie. Le 3 septembre 1943, il est transféré au Régiment de la Chaudière avec lequel il prendra d’assaut Juno Beach, en ce jour fatidique du 6 juin 1944.

L’entraînement en prévision du débarquement de Normandie est très bien documenté, grâce surtout aux journaux de guerre. Ces documents produits par chacun des régiments de l’armée canadienne permettent de suivre leurs faits et gestes. Par exemple, le journal de guerre du Régiment de la Chaudière nous apprend que peu de temps après l’affectation de Marcel, soit le 4 septembre 1943, l’ordre a été donné de se déplacer au camp Shira, en Écosse, pour effectuer des exercices en vue du débarquement. En ce même mois, le journal de guerre décrit l’entraînement et le progrès des quatre différentes compagnies du Régiment, les Cies A, B, C et D, pour atteindre leurs cibles, ainsi que les incidents survenus en chemin.

Le journal du Régiment de la Chaudière inclut également les ordres régimentaires, assez précis pour tracer le parcours de Marcel au moment du débarquement et pendant la bataille de Normandie, puisqu’on y donne sa compagnie et ses déplacements. Selon les ordres régimentaires de septembre 1943, Marcel a été affecté à la Cie D. Le jour J, Marcel va donc rester sur la barge d’assaut jusqu’à ce que les Cies A et B atteignent leurs objectifs dans le secteur Nan White, avant de débarquer sur la plage en renfort. À cet effet, le journal donne le syllabus d’entraînement et décrit les exercices effectués en prévision du débarquement.

Le 6 juin 1944, Marcel embarque avec la Cie D sur le vaisseau Clan Lamont qui s’apprête à faire la traversée de la Manche. Le dernier déjeuner est pris à 4 h 30 et ensuite, dès 6 h 20, tous sont à bord de du vaisseau qui se lance sur les flots houleux en direction de Bernières-sur-Mer. Plusieurs sont malades, un mélange d’angoisse et de mal de mer. À 8 h 30, le Régiment de la Chaudière débarque pour se joindre au combat dans lequel est déjà engagé le régiment des Queen’s Own Rifles. Mais une tempête, la veille au soir, qui a déréglé les courants de marée, combinée à la résistance farouche des Allemands, a retardé l’arrivée et la progression des Queen’s Own Rifles. Alors qu’ils auraient dû avoir déjà pris Bernières-sur-Mer avant l’arrivée du Régiment de la Chaudière, ils sont coincés sur la plage sous le feu de l’artillerie ennemie, incapables d’avancer.

Plan rapproché d’une carte de Juno Beach, divisée en secteurs.

Détail d’une carte des environs de Juno Beach (e011297133). Le Régiment de la Chaudière est débarqué dans le secteur Nan White, à la hauteur de Bernières-sur-Mer.

Finalement, la défense allemande cède sous la pression, permettant ainsi à l’armée canadienne de pénétrer Bernières-sur-Mer et de sécuriser les environs. À la fin de la journée, les compagnies du Régiment de la Chaudière se regroupent à Colomby-sur-Thaon. Elles contribuent ainsi à l’établissement d’une tête de pont pour les Alliés en France. C’est une importante victoire, mais elle ne marque que le début de la bataille de Normandie qui durera plus de deux mois encore et fauchera beaucoup d’autres vies.

Les avancées se poursuivent tout au long du mois de juin. Le Régiment de la Chaudière se rapproche peu à peu de la ville de Caen, en vue de sa prise. Cependant, il reste un objectif vital à conquérir : Carpiquet. Ce village muni d’un aérodrome a été fortifié par les Allemands qui en dépendent largement pour résister aux Alliés. Prendre Carpiquet et son aérodrome correspondrait à démanteler le point stratégique de la force aérienne des Allemands à proximité des Alliés. Cela ouvrirait aussi les portes pour la conquête de Caen.

L’offensive sur Carpiquet commence le 4 juillet à 5 h. Les Cies B et D font partie du premier groupe d’assaut des Alliés, avançant sous le couvert d’un énorme barrage fourni par 428 canons et les canons de 16 pouces des cuirassés HMS Rodney et HMS Roberts de la Royal Navy. En revanche, la défense ennemie est féroce. Les Allemands sont mieux placés et mieux organisés; ils ont même eu le temps de fortifier leurs positions avec des murs de béton d’au moins six pieds d’épaisseur. Ce matin-là, ils font pleuvoir un véritable déluge d’obus d’artillerie et de bombes de mortier. Cette première journée fait beaucoup de morts et de blessés au sein du Régiment de la Chaudière.

Des soldats canadiens assistent à un breffage dans l’aérodrome de Carpiquet.

Breffage de fantassins canadiens près d’un hangar à l’aérodrome de Carpiquet, en France, le 12 juillet 1944 (a162525). Cette photo prise après la conquête de ce point vital révèle les ravages de ce combat sanglant.

Le 8 juillet 1944, Marcel Gauthier est atteint par les éclats d’un obus. L’explosion le laisse gravement blessé à la tête, et son régiment le mène rapidement au poste de secours du Corps médical de l’armée canadienne le plus près. On le confie à la 22e Ambulance de campagne canadienne, on l’envoie ensuite au poste d’évacuation sanitaire no 34, et il est finalement admis au 81e Hôpital général britannique. Malgré les efforts du personnel, Marcel succombe à ses blessures le 15 juillet 1944. Pour ses services rendus, une médaille lui sera attribuée à titre posthume : l’Étoile France-Allemagne.

Des soldats embarquent un soldat blessé sur une civière dans une ambulance militaire.

Un soldat du Régiment de la Chaudière blessé le 8 juillet 1944 lors de la bataille de Carpiquet est pris en charge par la 14e Ambulance de campagne du Corps médical de l’armée canadienne (a162740). Il ne s’agit pas de Marcel Gauthier, mais d’un de ses confrères.

Marcel Gauthier repose dans le lot IX.A.11 du cimetière militaire canadien de Bény-sur-Mer. Sur sa pierre tombale on peut lire l’inscription soumise par son père Henri : « Notre cher Marcel si loin de nous à toi on pense toujours repose en paix », là où son nom restera vivant pour toutes les générations.

Autres ressources


Ariane Gauthier est archiviste de référence au sein de la Direction générale des Accès et des services à Bibliothèque et Archives Canada.