Par Ariane Gauthier
Dans le cadre de mon travail comme archiviste de référence à Bibliothèque et Archives Canada (BAC), je me retrouve souvent à creuser les multiples documents de la collection portant sur la Deuxième Guerre mondiale. De nombreuses personnes à travers le monde s’intéressent à l’histoire des Canadiens dans ce conflit et, plus précisément, aux expériences de nos soldats. Ce que je trouve d’autant plus fascinant, c’est la manière dont commence la quête des chercheurs avec qui j’ai la chance de travailler. Le point de départ est souvent une histoire intime, transmise au sein d’une famille ou encore d’une petite communauté : « J’ai découvert que ma mère a servi avec l’Aviation royale canadienne. » ou « Il paraît que mon village aurait caché un espion canadien pendant la Seconde Guerre mondiale. ». Cela suffit à alimenter la flamme des chercheurs, qui fouillent alors pour trouver des preuves ou enrichir leurs récits de nouveaux détails.
Mes collègues et moi figurons dans cette quête de manière ponctuelle, principalement pour faciliter l’accès aux documents de la vaste collection de BAC. Lorsque les circonstances le permettent, nous creusons l’information contenue dans ces documents à la recherche de détails pertinents pouvant aider les chercheurs à reconstituer l’histoire qu’ils cherchent à comprendre.
C’est ainsi que j’ai trouvé trois lettres en provenance de Normandie adressées à nos soldats canadiens. Malheureusement, le contexte des lettres, notamment l’identité du destinataire, demeure un mystère. J’ai repéré ces lettres dans un dossier du quartier général de l’Aviation royale canadienne (Référence : R112, RG24-G-3-1-a, Numéro BAN : 2017-00032-9, Numéro de boîte : 30, Numéro de dossier : 181.009 [D0624]) Ce dossier documente notamment les expériences de soldats canadiens ayant été capturés et internés dans des camps de prisonniers pendant la Seconde Guerre mondiale. Il contient aussi des transcriptions d’interviews sur les expériences vécues par les soldats.
Dans ce cas-ci, les trois lettres ne sont pas liées à des entretiens particuliers et figurent dans ce dossier comme des feuilles libres. Il n’y a pas de correspondance qui explique la raison pour laquelle elles ont été placées dans ce dossier. On ne sait pas non plus s’il s’agit de lettres adressées à des soldats ayant été faits prisonniers pendant la guerre. L’information contenue dans ces lettres est vraiment la seule information dont nous disposons. En réalité, même si cela peut sembler bien peu, ces trois lettres en disent long sur l’expérience des soldats en Normandie et sur celle des Français, surtout sur les risques encourus par ceux qui résistaient aux Allemands.
Voici les lettres en question :

Lettre à un soldat canadien de la part de Mme Morel, datée du 8 octobre. (MIKAN 5034948)
Dans cette première lettre, nous découvrons une partie de l’histoire de Mme Morel, qui aurait hébergé un de nos soldats après qu’il eut sauté d’un avion près de Villers-sur-Mer. Nous apprenons que ce soldat était parachutiste et qu’il se serait réfugié dans le restaurant de Mme Morel avec deux de ses compagnons d’armes, M. Cooper et Len Martin, alors que le village était encore sous occupation allemande.

Lettre à un soldat canadien de la part de Mme J. Cottu. (MIKAN 5034948)
Cette deuxième lettre nous donne un aperçu de l’histoire de Mme J. Cottu et pourrait possiblement faire écho à celle du soldat parachutiste mentionné dans la lettre de Mme Morel. Faute d’informations plus précises, il est difficile de valider cette hypothèse, mais la deuxième lettre fait référence à un certain sergent Martin (possiblement Len Martin?) et situe son départ au mois de novembre. Mme Morel avait indiqué avoir hébergé le soldat à la fin octobre, sans toutefois préciser l’année, donc le tout pourrait concorder chronologiquement.
Mme J. Cottu mentionne avoir hébergé trois soldats dans sa maison, à Ruffec, en novembre 1943 : le destinataire de la lettre, le sergent Martin et le capitaine Ralph Palm. Bien que cet épisode semble s’être bien déroulé, elle indique avoir été arrêtée par la Gestapo en 1944 en raison des activités de son mari. On comprend la gravité de la situation avec cette confession : « I was arrested by the Gestapo, and have suffered very much. » (Je me suis fait arrêter par la Gestapo et j’ai beaucoup souffert.)

Lettre à Harry de la part de Mme Andre Noel, datée du 13 novembre 1945. (MIKAN 5034948)
Dans cette troisième lettre, Mme Noel illustre très bien les dangers auxquels les membres de la Résistance étaient exposés. Elle porte le fardeau d’annoncer le décès de monsieur Baudol, membre de la Résistance, tué alors qu’il était en patrouille. Elle nous montre également les liens forts qu’Harry semble avoir tissés avec les habitants de Saint-Martin-aux-Chartrains. Bien que cette lettre exprime la souffrance, le chagrin et la peur, elle met aussi en lumière la bravoure et les sacrifices de trois familles pour venir en aide à un soldat canadien.
Ariane Gauthier est archiviste de référence à la Direction générale de l’accès et des services à Bibliothèque et Archives Canada.