À la découverte de mon grand-père Robert Roy Greenhorn : le « petit immigré anglais » (partie 1)

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Groupe de garçons travaillant dans un champ à la ferme école de la Philanthropic SocietyPar Beth Greenhorn

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

Robert Roy Greenhorn (1879-1962), mon grand-père paternel, est un des milliers d’enfants envoyés au Canada par les orphelinats de William Quarrier, en Écosse. Il est ainsi devenu un « petit immigré anglais », un terme que j’ai entendu pour la première fois quand j’ai commencé à travailler à Bibliothèque et Archives Canada (BAC), en 2003. Je n’ai appris qu’en 2012 que mon grand-père et ses deux frères, John et Norval, étaient de petits immigrés anglais. L’été dernier, c’est-à-dire onze ans plus tard, je me suis dit qu’il était temps d’écrire l’histoire de mon aïeul.

Le présent billet de blogue est la première partie d’une série de quatre qui veut rendre hommage à mon grand-père Robert Roy Greenhorn. Il est publié le 20 novembre pour souligner la Journée nationale de l’enfant au Canada.

Portrait sur lin dans un cadre ovale du buste d’un jeune homme portant une chemise à col boutonné, une cravate, une veste et un veston.

Robert Roy Greenhorn, lieu inconnu, début des années 1900. Courtoisie de l’auteure, Beth Greenhorn.

Comme de nombreux Canadiens, je n’ai pas entendu parler des petits immigrés anglais à l’école. En fait, je ne connaissais même pas le terme. Jamais mon père ou d’autres membres plus âgés de la famille ne m’en ont parlé. Ce n’est qu’en cherchant des images pour le balado de BAC sur les petits immigrés anglais, en 2012, que j’ai appris l’existence des anciens réseaux d’émigration d’enfants. Ça a piqué ma curiosité : pourquoi mon grand-père avait-il émigré au Canada, et dans quelles circonstances? C’est comme ça que ma recherche a commencé.

Des années 1860 au milieu du 20e siècle, plus de 100 000 enfants pauvres, sans-abri et orphelins de Grande-Bretagne ont été relogés au Canada et dans d’autres colonies britanniques. Ils travaillaient dans des familles rurales canadiennes jusqu’à l’âge de 18 ans, généralement en tant que domestiques ou agriculteurs. On les appelle petits immigrés anglais parce que ces enfants quittaient la Grande-Bretagne pour le Canada grâce au travail d’organismes d’émigration.

L’industrialisation de la Grande-Bretagne au 19e siècle a provoqué des souffrances inimaginables pour des centaines de milliers de personnes. La pollution, la pauvreté, les taudis et les inégalités sociales explosent (voir l’article en anglais de Patrick Stewart The Home Children, p. 1). La vie est particulièrement difficile pour les enfants dans les foyers frappés par la pauvreté. Une recherche dans les grands titres des journaux britanniques de l’époque victorienne permet de relever des termes très durs pour désigner ces malheureux : enfants abandonnés (waifs and strays), indigents (paupers), délinquants (delinquents) et galopins (street urchins), pour ne nommer que ceux-là. Aucun système d’aide sociale ne prend en charge le nombre croissant d’enfants pauvres, négligés et orphelins.

Patricia Roberts-Pichette décrit ainsi les conditions de travail lamentables de la classe ouvrière démunie dans les industries de Grande-Bretagne (About Home Children, p. 7) :

La plupart des petits immigrés anglais viennent des familles ouvrières les plus pauvres, qui vivent dans les pires taudis des grandes villes industrielles. Les familles se trouvant dans un état d’extrême pauvreté à cause de la perte d’un emploi, d’une maladie, d’un handicap ou du décès du soutien de famille. […] Les travailleurs sociaux, les ecclésiastiques et les fonctionnaires craignent que ces enfants sombrent dans la délinquance et la criminalité pour survivre. [Traduction]

Comme l’explique Susan Elizabeth Brazeau, des organismes philanthropiques, caritatifs et religieux sont convaincus que le retrait des enfants aiderait à régler les problèmes socioéconomiques (They Were But Children: The Immigration of British Home Children to Canada, p. 1) :

Le réseau d’émigration a pour but de sortir les enfants britanniques de leurs conditions de vie jugées malsaines et inacceptables d’un point de vue social et moral. Dans les familles, les fermes et les foyers canadiens, les enfants devraient acquérir les compétences nécessaires pour devenir des membres productifs de la classe ouvrière. […] Ces enfants ont été appelés « petits immigrés anglais ». [Traduction]

Le programme avait donc un double objectif : réduire le fardeau que constituaient les enfants démunis en Grande-Bretagne, tout en offrant à la population croissante des colonies une main-d’œuvre bon marché pour travailler à la ferme.

Timbre orné d’une photo sépia d’un garçon vêtu d’un long manteau avec une valise à ses pieds. Cette photo est superposée sur une photo sépia d’un garçon labourant un champ à l’aide de deux chevaux. La photo d’un navire se trouve sous ces deux photos.

Timbre canadien émis le 1er septembre 2010 en l’honneur des petits immigrés anglais (e011047381).

L’orphelinat de Quarrier, en Écosse, est un des nombreux organismes fondés au 19e siècle qui s’occupe de la migration des enfants. C’est cet organisme privé, fondé par le fabricant de chaussures et philanthrope William Quarrier (1829-1903) (biographie en anglais), qui a envoyé mon grand-père et ses frères au Canada. De 1870 à 1938, Quarrier et plus tard ses filles ont organisé l’émigration de 7 000 enfants au Canada. La plupart d’entre eux ont abouti en Ontario.

Malheureusement, mon grand-père paternel, Robert Roy Greenhorn, est décédé avant ma naissance. Tout ce que je sais de lui vient des souvenirs racontés par mon père et de quelques photographies. Mon père, le cadet de la famille, était très lié à sa mère Blanche (née Carr, 1898-1970). En tant que « bébé de la famille » ayant grandi à une époque où les rôles des genres étaient bien définis, il a probablement passé plus de temps avec sa mère et ses sœurs, donc dans la maison et le potager, qu’avec son père. En plus, mon grand-père avait 51 ans quand mon père est né. La différence d’âge a probablement affaibli le lien entre eux. Par conséquent, les souvenirs d’enfance de mon père concernaient plus sa mère et sa fratrie, notamment son frère le plus jeune, Arnold, né seulement trois ans avant lui.

Trois femmes accroupies devant cinq hommes et une femme debout.

Première rangée, de gauche à droite : mes tantes Jo (Josephine), Jean et Jennie; deuxième rangée : mes oncles Roy et Arnold, mes grands-parents Robert et Blanche, mon oncle John et mon père Ralph. Philipsville (Ontario), 1947. Courtoisie de l’auteure, Beth Greenhorn.

Je sais très peu de choses sur l’enfance de mon grand-père Robert. Lui et ses frères John et Norval sont nés près de Glasgow, en Écosse, et ont émigré au Canada pendant leur enfance. Je sais aussi qu’ils sont venus sans leurs parents et qu’ils sont devenus orphelins très jeunes. J’ai toujours pensé que les trois frères avaient fait la traversée ensemble, mais des recherches ont montré que Robert et John sont partis pour le Canada en mars 1889, et que leur frère Norval les a suivis cinq ans plus tard, en 1894.

Dans ses mémoires non publiés écrits en 2015, mon père transmet un de ses rares souvenirs de mon grand-père :

Mon père était travaillant, c’était sa force. Il avait le sens de l’humour et jouait très bien au hockey, selon ce que j’ai compris. La meilleure façon de le décrire serait de dire que l’environnement a laissé sur lui des traces et qu’il était couvert de cicatrices. […] Si seulement je lui avais posé plus de questions sur son enfance, je l’aurais mieux compris. [Traduction]

Au début, les Canadiens appuient les organismes d’émigration et accueillent les enfants à bras ouverts. Toutefois, comme le mentionne Susan Elizabeth Brazeau dans l’article They Were But Children (p. 5 et 6), le vent tourne quand des histoires sordides commencent à circuler : des enfants s’enfuient, s’attaquent à leurs hôtes, volent de la nourriture ou souffrent de la faim. Il y en a même un qui est mort. Dans l’opinion publique, l’acceptation fait place à la méfiance. Les gens se demandent si « la Grande-Bretagne se débarrasse de ses pires éléments : les va-nu-pieds, les idiots, les malades et les criminels » [Traduction].

Je ne saurai jamais comment mon grand-père Robert a supporté l’épreuve d’être orphelin. Compte tenu des étiquettes péjoratives attribuées aux enfants de milieux défavorisés, je n’ai aucun mal à croire que la honte associée au statut de petit immigré a pu laisser de nombreuses cicatrices. J’aurais aimé en savoir plus sur la vie de mon grand-père et sur ce que cachait sa carapace. Qu’est-il arrivé à ses parents? Dans quelles circonstances les trois frères sont-ils devenus des pensionnaires d’un orphelinat en Écosse?

Je continuerai de raconter l’histoire de Robert Roy Greenhorn dans le deuxième article de la série. Ce périple vers les origines nous mènera à Gartsherrie et à Falkirk, en Écosse.

Autres ressources


Beth Greenhorn est gestionnaire de l’équipe du contenu en ligne à la Direction générale de la diffusion et de l’engagement à Bibliothèque et Archives Canada.