Les scénarios multimédias d’Oliver Hockenhull

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Par Brian Virostek

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique qui pourraient bouleverser certaines personnes, dont une illustration d’une pendaison publique. Pour en savoir plus, veuillez consulter notre Mise en garde – terminologie historique.

Que se passe-t-il dans la tête d’un cinéaste expérimental confronté aux enjeux du contrôle et de la résistance, et qui souhaite par-dessus tout montrer cela à l’écran de façon à faire réfléchir son public?

Sur quels types d’archives peut-on compter pour comprendre un film qui n’a jamais eu de scénario et dont le réalisateur a rejeté les méthodes traditionnelles? Espérant obtenir réponse à ces questions, j’ai demandé à l’artiste multimédia Oliver Hockenhull s’il avait songé à faire don d’images ou de documents en même temps que ses films Determinations (1988, mis à jour en 2022) et Entre la langue et l’océan (1991). En réponse, il a généreusement donné un lot fascinant de documents qui, quoique peu volumineux, offre un aperçu de son processus créatif.

Parmi les documents clés, mentionnons une copie de la demande de subvention présentée par Hockenhull au Conseil des arts du Canada pour son film Determinations. Elle offre une description détaillée des thèmes abordés dans le film, ce qui nous permet de mesurer la démarche et l’engagement profond de l’artiste.

Un formulaire du gouvernement rempli à la machine à écrire.

Première page de la demande de subvention présentée par Hockenhull pour son film Determinations. (No MIKAN 6652053)

Cette demande de subvention jette aussi un éclairage sur le montage du film, réalisé sous forme de collage polyvalent. Hockenhull s’est inspiré de multiples facettes de son expérience, pleinement conscient que la réalisation du film serait en même temps une démarche de compréhension. Avant le tournage, il avait assisté aux procès des membres de Direct Action (The Squamish Five) et écrit à chacun. De toute évidence, il ne se contentait pas de suivre l’actualité : il voulait être là, en personne, ouvert au dialogue. Le film traduit bien la franchise qu’on dénote dans sa correspondance.

Les premières lignes d’une lettre manuscrite.

Lettre adressée à John Oliver Hockenhull par Doug Stewart, 4 janvier 1986. (No MIKAN 6652053)

Dans la lettre qui suit, on voit une étoile à cinq branches griffonnée dans la marge. On dirait cinq « A » majuscules, reliés à la base. On ignore à quel moment ce symbole a été apposé sur la lettre.

Lettre dactylographiée comportant une étoile dessinée à la main dans le coin supérieur gauche.

Lettre adressée à John Oliver Hockenhull par Ann Hansen. (No MIKAN 6652053)

Dernier détail (mais non le moindre) de cette demande de subvention : elle semble avoir été obtenue à la suite d’une demande d’accès aux renseignements personnels, un processus qui permet aux personnes de demander l’accès aux renseignements détenus à leur sujet par le gouvernement du Canada. Fidèle au sujet de son film Determinations, Oliver Hockenhull a exploré et mis à profit les rouages d’un système, nous invitant à prendre part à son enquête.

Les photographies et les diapositives contenues dans ce fonds d’archives révèlent que le film n’a pas pris naissance par écrit, dans un logiciel de traitement de texte, mais bien dans un atelier d’artiste où des photographies et des publicités pour des armes ont été fixées aux murs, mises en collage, combinées et recouvertes de peinture. Le collage ci-après illustre la rencontre entre l’image personnelle (représentée par la photo de famille) et la version créée par des procédés techniques, illustrée par les détails de la télécopie.

Copies d’une photo de famille et d’une télécopie assemblées en collage et recouvertes d’un vernis coloré.

Un collage réalisé sur les murs de l’atelier où une partie du film Determinations a été tournée. (No MIKAN 6652053)

Ici, on voit que des danseurs et des acteurs se sont retrouvés dans l’atelier aux côtés d’artistes visuels, et se sont intégrés au collage. Dans l’image ci-dessous, une publicité pour des armes a été copiée sur une diapositive puis projetée dans l’atelier, par-dessus un acteur.

Au premier plan, une personne brandit une arme à feu. À l’arrière-plan, on voit une publicité pour des armes, avec des ogives ornées d’étoiles et de rayures.

Un exemple de collage multimédia tiré du film Determinations : médias imprimés, projection de diapositive et performance d’acteur. (No MIKAN 6652053)

Sur la photo suivante, le caméraman et la preneuse de son tournent une scène dans une cuisine. Le réalisateur a opté pour un lieu étroit, mais réellement habité. L’espace étant trop exigu pour inclure les deux acteurs dans le cadre ou pour tourner depuis deux angles (comme dans un champ-contrechamp traditionnel), le réalisateur a choisi de filmer la conversation en écran partagé : il montre les deux personnages dans le même espace physique, mais dans des champs visuels distincts. Voilà un autre exemple où le cinéaste s’impose des contraintes matérielles tout en confrontant ses personnages à des questions difficiles. Chaque solution ajoute une pièce à la mosaïque de la compréhension.

Une femme debout sur un réfrigérateur tient un microphone, tandis qu’un homme filme à l’aide d’une caméra. Un projecteur placé à l’arrière éclaire la scène.

Tournage du film Determinations. (No MIKAN 6652053)

Dans l’exemple suivant, Hockenhull adopte une approche à la fois sculpturale et picturale, présentant une image altérée d’un visage reflété dans un miroir déformant : on voit une personne déchirée en deux, le regard d’un troisième œil suggérant un état méditatif. En continuant d’explorer son thème par divers médiums plastiques et performatifs, le réalisateur aboutit à une image emblématique, qui représentera d’ailleurs le film dans des photographies et des communiqués de presse.

Image déformée d’un visage d’homme.

Une personne déchirée en deux, le regard d’un troisième œil suggérant un état méditatif. (No MIKAN 6652053)

Bibliothèque et Archives Canada possède une copie du film Determinations dans sa version originale de 1988, ainsi que dans sa version de 2022 (accompagnée de la musique de Gerry Hannah, un ancien membre des Squamish Five).

Pour son film suivant, Entre la langue et l’océan, Oliver Hockenhull a commencé ses recherches à Bibliothèque et Archives Canada. Il s’est inspiré de la version publiée du Journal d’un patriote exilé en Australie, 1839-1845, de François-Maurice Lepailleur, ainsi que de textes et d’illustrations connexes. Les reproductions qu’il a obtenues ont alimenté son processus créatif.

Texte dactylographié.

Extrait du Journal d’un patriote exilé en Australie, 1839-1845, par François-Maurice Lepailleur. (No MIKAN 6652066)

Après l’idéalisme révolutionnaire qui se dégage du texte ci-dessus, nous découvrons ensuite la correspondance de fonctionnaires de la période coloniale immergés dans un univers d’intrigues et de violences. Ci-dessous, l’auteur de la lettre avertit le destinataire de l’existence de complots visant à l’assassiner, par exemple en l’empoisonnant.

Lettre manuscrite.

Lettre adressée au lieutenant-général Jim John Colborne, New York, 15 décembre 1838. (No MIKAN 6652066)

Les recherches du réalisateur révèlent en outre que les patriotes révolutionnaires (comme Lepailleur) furent confrontés à une autre forme de violence, comme en témoigne l’illustration ci-dessous. La prison des Patriotes-au-Pied-du-Courant, qu’on voit à l’arrière-plan, est aujourd’hui un petit musée montréalais qui vaut le détour.

Dessin d’Henri Julien représentant une exécution devant une prison à Montréal.

Un sentiment de violente oppression imprègne le film, transmis de manière symbolique plutôt que littérale. (No MIKAN 6652066)

Comme dans son film précédent, Determinations, Hockenhull cherche une voix authentique, s’appuyant sur des journaux et de la correspondance pour raconter son histoire. L’écriture et les illustrations plus longues et fluides se reflètent dans la production, non seulement dans les costumes et les décors, mais aussi par une mise en scène plus somptueuse et maîtrisée. On peut le voir sur cette diapositive de photographie prise sur le plateau :

Deux silhouettes devant un rideau éclairé de teintes rouge orangé émanant d’une boule de feu crachée par un artiste de cirque à l’arrière-plan.

Mise en scène théâtrale tirée d’Entre la langue et l’océan et intégrant des éléments non diégétiques, comme un artiste de cirque en arrière-plan. (No MIKAN 6652066)

L’image suivante présente un collage assemblé par Hockenhull à partir d’instantanés Polaroid annotés de codes temporels. Sur les images où Lepailleur est assis sur une chaise, on voit en arrière-plan une ancienne carte de l’Australie. Comme dans son travail précédent sur le film Determinations, le réalisateur a rassemblé des documents visuels durant sa phase de recherche, a reproduit les images sur des diapositives et les a projetées dans la scène. Mais on note ici une certaine sophistication : en continuité à la mise en scène, l’image est intégrée au moyen de la projection frontale, une technique d’effets spéciaux qui permet aux images projetées de remplir l’arrière-plan de manière homogène, sans masquer les acteurs.

Une grille de six images, dont cinq illustrant chacune une personne différente, et une affichant les années « 1837 » et « 1838 ». Chaque image comporte un code temporel dans le coin inférieur droit.

Collage d’instantanés Polaroid réalisé par Oliver Hockenhull. (No MIKAN 6652066)

C’est une expression de l’histoire en fractions de seconde, composé d’impressions Polaroid et d’illustrations recadrées, comme un scénarimage après coup. Le cinéaste relie ces événements disjoints en laissant leurs contours se frôler, pour reconstruire à partir de ces fragments un monde cohérent.


Brian Virostek est archiviste à la Direction générale des archives et du patrimoine publié de Bibliothèque et Archives Canada.