Le fonds Desmarais et Robitaille : un témoignage de la pratique religieuse au 20e siècle

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Par François Larivée

Bibliothèque et Archives Canada a récemment fait l’acquisition d’un fonds d’archives lié au patrimoine religieux : le fonds Desmarais et Robitaille. La maison Desmarais et Robitaille était une entreprise spécialisée dans le commerce d’articles liturgiques ainsi que dans la rénovation et l’ameublement d’églises. Cette compagnie familiale, active entre 1909 et 2021, a longtemps eu pignon sur rue dans le Vieux-Montréal, en plus d’opérer des succursales à Ottawa et à Toronto. Ses archives comprennent les nombreux documents créés et reçus par la compagnie pendant plus d’un siècle. Elles témoignent de l’importance de la pratique religieuse au Canada au cours du 20e siècle et de ses profonds changements à partir des années 1960.

Le commerce d’articles religieux

Le fonds d’archives documente d’abord les principales activités de la compagnie, soit l’importation, la fabrication et la vente de divers types d’articles liés à la liturgie chrétienne : autels, bénitiers, calices, chandelles et chandeliers, chasubles, chemins de croix, ciboires, confessionnaux, croix, encensoirs, fonts baptismaux, mobilier d’église, ostensoirs, statues, tabernacles, etc.  Il contient de très nombreuses photographies, qui servaient principalement à illustrer le catalogue annuel de la compagnie. Il renferme aussi beaucoup de dessins, réalisés principalement par Jean-Charles Charuest, dessinateur en arts liturgiques de renom. À ce titre, M. Charuest a travaillé pour la compagnie de 1945 à 1960, produisant les dessins présentés aux clients et aux artisans en vue de la vente et de la réalisation des produits. Grâce aux nombreux dessins et photographies, on constate indirectement l’importance de la pratique religieuse à une certaine époque, du fait de la grande variété de modèles proposés pour chaque article religieux. Par exemple, pour certains objets comme les autels, les fonts baptismaux, les calices et les chandeliers, les clients pouvaient choisir parmi des dizaines de modèles différents (à des prix très variés).

Quatre dessins montrant sous des angles différents le maître-autel de l’église Christ-Roi d’Amos. Le quatrième dessin montre un tabernacle sur l’autel, des chandeliers devant l’autel, ainsi que la silhouette d’un prêtre célébrant la messe.

Maître-autel dessiné par Jean-Charles Charuest pour l’église Christ-Roi, Amos, Québec, [195-]. (e011783145, MIKAN 5758387)

La rénovation d’églises

Le fonds Desmarais et Robitaille témoigne d’un autre secteur d’activité de la compagnie : la rénovation, l’ameublement et la décoration d’églises et de chapelles. Cette spécialisation s’est principalement développée vers la fin des années 1960, à la suite du concile Vatican II (1962-1965) qui a profondément transformé la façon de célébrer la messe et l’eucharistie, engendrant également une transformation de l’espace liturgique.

Plusieurs photos et dessins d’architecture reflètent les multiples projets entrepris par la compagnie à cet égard. Ces projets furent réalisés pour des églises situées tant au Canada (Québec, Ontario et Maritimes) que dans le Nord-Est des États-Unis (notamment dans les états de New York et du Vermont). Les chapelles faisant l’objet des travaux se trouvaient soit dans des lieux à vocation religieuse (tels des couvents ou des monastères), soit dans des lieux laïques (tels des hôpitaux ou des bases militaires).

La majorité des dessins architecturaux pour ces projets sont l’œuvre des designers en arts liturgiques de la compagnie, le révérend Toby McGivern et Rob McDonnell, très actifs dans les années 1980 et 1990.

Dessin montrant l’intérieur de l’église Notre-Dame-du-Rosaire, de face et à vol d’oiseau, ainsi que différentes pièces du mobilier (autel, ambon, baptistère et tabernacle).

Église Notre-Dame-du-Rosaire, Bathurst (Nouveau-Brunswick) : rénovation du sanctuaire et ameublement. Dessin par le révérend Toby McGivern, 1987. (e011783151, MIKAN 5758372)

Dessin montrant l’intérieur de l’église de la paroisse Blessed Sacrament, de face et à vol d’oiseau.

Paroisse Blessed Sacrament, Cornwall (Ontario) : rénovations proposées du sanctuaire. Dessin par Rob McDonnell, 1989. (e011783152, MIKAN 5758372)

L’atelier d’orfèvrerie de Gilles Beaugrand

L’année 1983 marque un jalon important dans l’histoire de la compagnie. C’est en effet à cette époque qu’elle acquiert l’atelier de l’orfèvre de renom Gilles Beaugrand, connu pour sa production de calices de très grande qualité. (Le calice est la coupe sacrée dans lequel le vin de la messe est consacré.)

Les calices conçus par Gilles Beaugrand étaient principalement des calices d’ordination, chaque nouveau prêtre acquérant le sien lors de son ordination. Dessinés par Gilles Beaugrand, ils étaient ensuite réalisés par les artisans de son atelier d’orfèvrerie, spécialisés dans l’emboutissage, le placage, le polissage, la gravure, la ciselure, le sertissage et la sculpture.

Le fonds Desmarais et Robitaille contient tous les dessins originaux de ce grand orfèvre, soit plus de 7 000 dessins produits entre 1943 et 2006. Ceux-ci ont été réalisés avec un soin extrême, et bien qu’ils aient été destinés à la production, leur qualité artistique est indéniable.

À chaque dessin original s’ajoute également une copie comportant les spécifications et les mesures nécessaires à la fabrication du calice. Tous les dessins étaient classés à l’aide d’un numéro, et un même numéro de calice pouvait faire l’objet de plusieurs commandes. Celles-ci étaient consignées dans des documents (nommés contrats) qui ont été transférés dans le fonds Desmarais et Robitaille.

Ces contrats sont une mine d’information pour les chercheurs s’intéressant à l’histoire religieuse. Reflet du fonctionnement d’un atelier d’orfèvrerie du 20e siècle consacré à l’art religieux, ils témoignent aussi indirectement des importants changements qui ont touché la pratique religieuse à partir des années 1950. Un examen rapide des documents permet entre autres de constater une croissance des commandes de calices jusqu’au milieu des années 1950, puis une diminution progressive, qui devient très marquée à la fin des années 1960.

Dessin d’un calice avec patène.

Dessin de Gilles Beaugrand : calice no 404 [194-]. (e011783271, MIKAN 5882654)

Photo d’un calice.

Calice réalisé par les artisans de l’atelier d’orfèvrerie de Gilles Beaugrand, no 404 [194-]. (e011783270, MIKAN 5882481)

La création de vitraux

Enfin, le fonds d’archives Desmarais et Robitaille témoigne d’une autre activité importante de la compagnie : la production de vitraux. Un studio du vitrail y fut en effet créé en 1971. On peut constater, à travers de nombreux dessins et photographies, que la compagnie a réalisé les vitraux de nombreuses églises, tant au Canada que dans le Nord-Est des États-Unis. Fait intéressant : c’est la compagnie Desmarais et Robitaille qui a fabriqué les vitraux de la cathédrale Saint-Joseph à Gatineau.

Photo de l’intérieur de la cathédrale Saint-Joseph. On peut voir en avant-plan les bancs de l’église, puis le chœur de l’église, et en arrière-plan, les vitraux sur le mur arrière.

Vitraux, cathédrale Saint-Joseph, Gatineau (Québec), 1996. (e011783272, MIKAN 5879559)

La baisse des activités et la fermeture

Malheureusement, en raison de l’importante baisse de la pratique religieuse, la compagnie a dû progressivement diminuer ses activités au cours des années 2000. Elle a fermé sa succursale d’Ottawa en 2000, et quitté le Vieux-Montréal en 2008. À partir de 2016, elle n’a pu offrir ses services que par catalogue, avant de finalement fermer ses portes en 2021. Heureusement, le fonds d’archives préservé à Bibliothèque et Archives Canada permettra de témoigner de ses importantes réalisations aux générations futures.


François Larivée est archiviste à la Section des sciences, de l’environnement et de l’économie de la Direction générale des archives de Bibliothèque et Archives Canada.