Le logo du CN : du quai de départ à la destination – deuxième partie

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Par Andrew Elliott

Dans la première partie, nous avons mentionné qu’après l’adoption du logo des Chemins de fer nationaux du Canada (CN), le travail d’Allan Fleming pour la compagnie consistait surtout à offrir des services-conseils. L’équipe de la refonte visuelle a commencé par choisir le design des différents objets du chemin de fer, puis Valkus a trouvé des moyens d’intégrer le logo sur ces objets. L’information était ensuite transmise à des agences de publicité pour qu’elles produisent le matériel promotionnel du CN.

McConnell Eastman était responsable de la publicité sur le marché canadien. La Canadian Advertising Agency s’occupait du marché francophone au Québec, et Maclaren Advertising, du marché international. Ces trois sociétés créent les slogans accrocheurs qui sont imprimés sur les affiches et dans les journaux.

Utilisation du logo

Le logo est appliqué sur divers produits : les locomotives, les voitures, les billets, les sous-verres, les emporte-restes, les signets, les enveloppes, les cartes professionnelles, les en-têtes, les calendriers, les publicités, etc.

Onze affiches, produits et publicités.

Produits ornés du nouveau logo du CN. (No MIKAN 6026153)

Uniformisations du logo : le manuel de l’affichage

L’équipe de la refonte visuelle devait établir des normes sur l’utilisation du logo pour l’ensemble du personnel. Elle a commencé par produire un livret bilingue (Voir c’est croire / Seeing is believing) facile à distribuer, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la compagnie.

La couverture et trois pages de texte d’un livret.

Le livret Voir c’est croire. (No MIKAN 6026153)

De 1963 à 1967, le CN a aussi recours aux services de Jean Morin (par le biais de Valkus Inc.). Ce talentueux graphiste est né à Québec le 2 mars 1938. Il étudie les arts publicitaires à l’École des beaux-arts de Québec de 1956 à 1960. Il est l’un des premiers Canadiens français à étudier le design graphique, une discipline qui commence à s’implanter au début des années 1960. Pendant le semestre d’hiver 1960-1961, il est étudiant libre à la Kunstgewerbeschule à Zurich. Il a aussi la chance de visiter plusieurs ateliers en Suisse, à une époque où le design graphique est en plein essor en Europe.

À son retour au Canada, Jean Morin commence par travailler pour la Commission des expositions du gouvernement canadien en 1961 et 1962. Ses projets ultérieurs, dont celui pour le compte du CN, portent sur les images de marque. Dans le cadre de ses fonctions, il prépare le premier manuel de normalisation de l’affichage au Canada.

Ce manuel écrit en 1965 se trouve dans le fonds de Jean Morin, qui est conservé à BAC (MIKAN 160277, volume 1, R2725). Ce guide, d’une simplicité étonnante, est axé sur le design esthétique, notamment en ce qui a trait à la typographie et à l’harmonisation des couleurs.

Une page avec le logo du CN dans le coin inférieur gauche et les mots « Manuel d’affichage » écrits en anglais dans le coin inférieur droit. Dans le coin supérieur droit, le texte mentionne que le manuel est publié avec l’autorisation du vice-président à la direction.

Première page d’un manuel du CN sur l’affichage. (No MIKAN 162289)

Le manuel établit clairement son intention, décrivant en peu de mots le programme de refonte visuelle du CN. Un guide explique comment tracer convenablement les lettres C et N sur une grille pour qu’elles aient toujours la même forme, peu importe leur taille. Le manuel mentionne quelles sont les couleurs standards et explique comment les agencer. Le type de police et l’espacement entre les lettres optimisent l’effet visuel. Il y a aussi plusieurs exemples de maquettes pour des impressions sur de la papeterie, sur des bureaux ou sur les enveloppes extérieures des bâtiments. Des codes permettent au personnel de commander des gabarits pour des lettres ou des couleurs particulières auprès du service des fournitures du CN.

Cinq pages comprenant des instructions et des logos.

Extraits du manuel d’affichage du CN. (No MIKAN 162289)

Le manuel de Morin est remarquable, car il décrit les atouts esthétiques de l’image de marque créée par des designers graphiques professionnels, mais dans un langage à la portée de tous, notamment du personnel du CN.

Au printemps de 1968, la société de Valkus et le CN mettent fin à leur collaboration en raison d’un conflit sur les paiements pour les services rendus l’année précédente. Le CN embauche alors ARC Corporation, une autre société de design montréalaise. Heureusement, son personnel comprend d’anciens employés de Valkus, ce qui assure une certaine continuité. Les documents dans le fonds du CN montrent qu’une relation stable se poursuit jusqu’à la fin des années 1970.

À partir des années 1960, personne n’ose toucher au logo ou au manuel des normes. En 1996, soit quelques années après sa retraite, Lorne Perry se voit confier la révision du manuel. Il ne s’agit pas de tout revoir, mais d’épurer l’identité visuelle et d’éliminer tout élément superflu. « J’ai consulté des sociétés qui descendaient directement des créateurs. Tout a été mis à jour, simplifié, uniformisé et organisé de manière à prendre la forme d’un manuel. Le logo du CN demeure simple et marquant, exempt de toute fioriture. »

La version mise à jour est publiée en 2001. Elle explique entre autres comment utiliser les couleurs officielles :

La couleur constitue une caractéristique importante du logo. Tout comme les autres éléments de conception du logo, la couleur utilisée doit toujours être la même pour que le message soit clairement transmis.

La couleur officielle du CN est le rouge (Pantone 485). Lorsque la méthode d’utilisation ou le véhicule de communication le permettent, le logo CN doit apparaître en rouge sur une surface blanche, ou en blanc sur une surface rouge. Si le rouge n’est pas disponible, le logo doit alors apparaître en noir sur une surface en blanc, ou en blanc sur une surface en noir. Il doit toujours y avoir un contraste suffisant.

Il peut arriver que le logo soit utilisé dans un contexte plus commercial et que l’arrière-plan ne soit pas d’une seule couleur. Dans les cas où l’on doit s’éloigner de la combinaison de couleurs approuvées par le CN, l’utilisation d’autres couleurs devra être justifiée et approuvée par les Affaires publiques.

Évolution du programme de refonte visuelle

Lorne Perry contribue grandement à maintenir la cohérence du programme de refonte visuelle, car il occupe un poste influent pendant plusieurs décennies, en plus d’agir comme traducteur en chef. Il a le don de construire des ponts entre les designers graphiques et le reste de la compagnie.

Dans les années 1970, le programme de refonte visuelle devient le programme d’identification organisationnelle. Au milieu de la décennie, la division des services aux passagers du CN accuse un déficit annuel de 70 millions de dollars. Le CN cherche une stratégie pour que le gouvernement pallie le manque à gagner du service public, et conclut qu’une nouvelle image de marque est nécessaire afin que l’ampleur du besoin frappe les imaginations. Le CN retient les services de Corporation Arc dans ce but.

La société ne présente qu’un logo, une combinaison de couleurs (bleu et jaune) et un nom : VIA. Lorne Perry se rappelle que le tout fut présenté au comité de direction du CN, présidé par le président-directeur général Robert Bandeen. Il a eu l’agréable surprise d’apprendre que les couleurs choisies, le doré et le bleu saphir, étaient aussi celles de l’Université Duke, l’alma mater de Bandeen. Il a été d’autant plus facile de le convaincre.

Quelque 65 ans après son dévoilement, le logo du CN continue de faire partie intégrante de son image de marque.

Pour en savoir plus à son sujet, découvrez le projet Allan Fleming, piloté par sa fille Martha :

Autres ressources pour approfondir la question :


Andrew Elliott est archiviste à la Direction générale des archives de Bibliothèque et Archives Canada.

 

Le logo du CN : du quai de départ à la destination – première partie

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Par Andrew Elliott

Rares sont les personnes qui ont étudié le processus de conception du logo des Chemins de fer nationaux du Canada (le CN). Pourtant, ce bouillonnement créatif a mené au dévoilement d’un véritable emblème en 1960. Comme nous l’avons mentionné dans un précédent blogue, Bibliothèque et Archives Canada conserve de nombreux documents concernant la création de ce logo d’entreprise.

Après la Première Guerre mondiale, la compagnie cherche son identité. Elle essaie un certain nombre de logos et de slogans, dont le mémorable « The National Way » (La voie nationale; voir l’image ci-dessous tirée d’un numéro de 1920 de la revue Canadian National Railways). Ce slogan est utilisé dans un logo de 1919 à 1921, et son usage se répand tout au long des années 1920.

Page d’une revue avec le slogan « The National Way ».

Le logo et le slogan du CN dans le numéro de janvier 1920 de Canadian National Railways. (No OCLC : 933318325)

De 1959 à 1969, le CN se réinvente. Il faut dire qu’une bonne partie du travail avait été fait dans les années 1950 : mise à niveau du matériel roulant, amélioration des services aux passagers et retrait progressif des locomotives à vapeur en faveur du diesel. Mais la création du nouveau logo, en 1960, n’est pas une mince affaire : il faut trouver un motif attrayant tant pour les voyageurs que pour le personnel du CN. Nous verrons ici comment le nouveau logo s’est implanté dans l’ensemble de la compagnie, puis au sein du grand public. Les répercussions à long terme de cet extraordinaire travail de graphisme sont particulièrement intéressantes.

La refonte de l’identité visuelle : l’implantation concrète du nouveau logo

Comment implanter un nouveau logo dans une grande compagnie? L’équipe de la refonte visuelle commence par mettre le logo du CN dans le rapport annuel de 1960. Peu après, des articles sur le logo et son importance dans le domaine du graphisme paraissent dans des numéros de la revue interne Keeping Track (Au fil du rail), qui a pris la place du Canadian National Railways Magazine.

Les honneurs reçus facilitent le processus. Un ancien employé du CN, Lorne Perry, rapporte que l’équipe de la refonte visuelle a reçu de nombreux prix prestigieux de la part d’organisations de design graphique au Canada, aux États-Unis et outremer. L’organisateur d’un séminaire sur le graphisme au Canada loue publiquement le CN pour avoir été l’une des premières grandes compagnies à faire parvenir le design des grandes villes dans « l’arrière-pays canadien ».

De plus, la compagnie déploie d’énormes efforts pour rajeunir son image. Par exemple, elle améliore le design intérieur des trains et modernise leur apparence extérieure. Pour le prix d’un billet, les passagers peuvent profiter de meubles et d’un design dernier cri. Les trains deviennent alors des salles d’exposition mobiles accessibles à tous. Ce n’est pourtant qu’une petite partie du chantier lancé par la compagnie.

Pour mener à bien ce projet colossal, l’équipe de la refonte visuelle collabore étroitement avec la société Valkus Incorporated. Rappelons que James Valkus était l’un de ces designers graphiques dans le vent à New York. Il avait déjà participé aux premiers efforts de conception du logo.

Un homme assis sur une chaise de bois.

James Valkus, vers 1963. (No MIKAN 162289)

De 1960 au début de l’année 1968, le CN a recours aux services de sa société de design pour obtenir des conseils généraux sur le déploiement des divers aspects du logo. Le contrat prévoit que, la première année, le CN paiera jusqu’à 60 000 $ à la société si son approche est choisie, puis 120 000 $ par année pour contribuer au déploiement. Ce sont des montants tout à fait substantiels pour l’époque, et le tarif a peu varié au fil des années.

Voyons comment Valkus s’y est pris. Il commence par diviser les divers types de matériel promotionnel en catégories : images dans les trains; objets dans les trains; images dans les hôtels; objets dans les hôtels; images dans les gares; et objets dans les gares. Puis, il subdivise le tout pour relever précisément ce qui doit changer. Le contrat conclu entre le CN et Valkus en 1962 énumère les éléments suivants :

  • Équipement des locomotives et des voitures
  • Véhicules à moteur
  • Équipement pour l’entretien des voies
  • Signalisation
  • Manuels
  • Formulaires et documents imprimés
  • Revue Keeping Track
  • Uniformes
  • Matériel promotionnel
  • Affichage publicitaire

Valkus et l’équipe de la refonte visuelle demandent aux services du CN de fournir une liste complète d’objets à modifier. Par exemple, le service des voitures-lits et des voitures-restaurants fournit une liste de quatre pages :

Quatre pages tapuscrites.

Quatre pages décrivant en détail les changements nécessaires dans le service des voitures-lits et des voitures-restaurants du CN. (No MIKAN 5891012)

La refonte visuelle touche aussi les filiales du CN. Central Vermont et le Grand Tronc adoptent à leur tour une image de marque épurée rappelant le logo du CN. À la fin des années 1960, même les hôtels du CN obtiennent leur propre logo : une clé rouge.

Pendant cette période, Allan Fleming ne participe pas vraiment au travail de terrain, offrant plutôt des services-conseils en coulisses. L’équipe de la refonte visuelle commence par dessiner les divers objets du chemin de fer, puis Valkus trouve des moyens d’y intégrer le logo. L’information est ensuite transmise aux agences de publicité pour qu’elles produisent le matériel promotionnel de la compagnie.

C’est à suivre dans la prochaine partie de ce billet!

Pour en savoir plus sur le logo du CN, découvrez le projet Allan Fleming, mené par sa fille Martha :

Autres ressources pour approfondir la question :


Andrew Elliott est archiviste à la Direction générale des archives de Bibliothèque et Archives Canada.