Par Julie Dobbin
Les phoques occupent une place centrale dans la vie des Inuits et constituent une source d’alimentation locale essentielle. De nombreuses traditions, coutumes, croyances et histoires transmises oralement concernent les phoques. Les Inuits ont toujours eu une relation importante et directe avec cet animal. Les chasseurs respectent énormément l’esprit du phoque, un animal dont ils dépendent grandement. Chaque partie du phoque est utilisée, car l’exploitation doit être durable, respectueuse et réalisée sans cruauté. Plus important encore, le climat froid et rigoureux de l’Arctique oblige les habitants de la région à avoir un bon abri et de bons vêtements pour rester au chaud et au sec. La peau, la fourrure et l’huile des phoques répondent à ce besoin.

Femme manipulant une lampe à l’huile de phoque dans un igloo, dans l’ouest de l’Arctique, probablement au Nunavut, en 1949 (MIKAN 3202745)
Les femmes inuites ont développé des techniques très perfectionnées pour traiter et utiliser les parties du phoque de diverses manières au fil des saisons. Après avoir enlevé la graisse avec un ulu (le couteau traditionnel des femmes à lame en forme de croissant), elles étirent et sèchent les peaux, comme le fait Taktu sur cette photo.

Taktu retirant la graisse de la peau d’un phoque, Kinngait (Cape Dorset), Nunavut, été 1960 (MIKAN 4324655)

Nepachee étendant une peau de phoque sur un cadre, Kinngait (Cape Dorset), Nunavut, été 1960 (MIKAN 4424951)
Rosemary Gilliat, qui a pris cette photo de Nepachee étirant la peau d’un phoque, mentionne dans sa description que son modèle est l’une des meilleures brodeuses de Kinngait. La photographe illustre non seulement la relation de Nepachee avec le phoque, mais aussi celle des femmes inuites qui travaillent depuis longtemps avec cet animal si essentiel pour leur peuple.
Même si les femmes jouent un plus grand rôle dans le traitement des peaux, les hommes peuvent les remplacer au besoin — tout comme les femmes peuvent chasser le phoque. Les peaux étaient entièrement traitées à la main. Elles étaient mâchées pour être assouplies, comme le montrent ces photos de Josie et de deux filles inuites :

Josie mâchant de la peau de phoque afin de l’assouplir pour la fabrication de kamiit (bottes), Kinngait (Cape Dorset), Nunavut, juillet 1951 (MIKAN 3377915)

Deux filles inuites mâchant de la peau de phoque afin de l’assouplir pour la fabrication de kamiit (bottes), date et lieu inconnus (MIKAN 3842281)
Le traitement de la peau et de la fourrure de phoque pouvait prendre des jours. Les peaux utilisées pour les tentes nécessitaient un traitement moins minutieux, mais il fallait mâcher et gratter davantage celles des vêtements, qui devaient être beaucoup plus souples.

Femme inuite grattant une peau de phoque, Kinngait (Cape Dorset), Nunavut, 1934 (MIKAN 4317790)
Pour les Inuits, les phoques représentent bien plus que de la nourriture ou la protection contre les éléments; ils font partie intégrante de leur culture, de leur vie et de leur cosmologie. Selon l’aînée Ulayok Kaviok d’Arviat, au Nunavut :
« Au cours du processus de fabrication des bottes en peau, les aînés transmettent la tradition orale aux jeunes couturières qui s’intéressent aux rituels traditionnels et aux systèmes d’échanges entre nos cultures. La première paire de bottes en peau cousue par une fillette symbolise son attachement au mode de vie traditionnel, ainsi que l’importance de la transmission des cultures inuite et inuvialuite. » (Musée virtuel du Canada, 2005)
L’utilisation du phoque dépasse l’aspect pratique; il s’agit d’une façon d’établir des relations et de transmettre la culture. Elle représente tout un système de croyances et un mode de vie. Malgré la création de certains établissements et l’apparition, au cours des dernières décennies, de nouveaux tissus comme le coton et la laine dans la production de vêtements, les femmes inuites ont su s’adapter et conserver leurs compétences traditionnelles ainsi que les connaissances liées aux peaux et à la fourrure de phoque. Encore de nos jours, elles transmettent ces compétences aux jeunes générations.
Julie Dobbin fait sa maîtrise ès arts en études autochtones et canadiennes à l’Université Carleton. Elle a écrit cet article pendant un stage à la Division des expositions et du contenu en lignede Bibliothèque et Archives Canada.