Kirkina Mucko à un mariage à Rigolet, au Labrador

À la gauche de l’image, Tatânga Mânî (le chef Walking Buffalo, aussi appelé George McLean) est à cheval dans une tenue cérémonielle traditionnelle. Au centre, Iggi et une fillette font un kunik, une salutation traditionnelle dans la culture inuite. À droite, le guide métis Maxime Marion se tient debout, un fusil à la main. À l’arrière-plan, on aperçoit une carte du Haut et du Bas-Canada et du texte provenant de la collection de la colonie de la Rivière-rouge.Par Heather Campbell

Avertissement : Le présent billet de blogue comprend du contenu explicite (décès, acte médical, amputation) qui pourrait constituer un élément déclencheur chez certains lecteurs ou les offenser.

Photo noir et blanc d’un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants assis ou debout dans un champ où poussent des fleurs. On voit derrière eux une étendue d’eau et des terres, au loin. Un chien se trouve à gauche dans l’avant-plan.

Mariage de Wilfred et Beatrice Shiwak; titre original : A wedding party, at Rigolet [réception de mariage à Rigolet]. Wilfred et Beatrice sont debout au centre; Kirkina Mucko est agenouillée entre Wilfred et la mère de ce dernier. (e011439717)

Lorsque j’ai commencé à travailler à Bibliothèque et Archives Canada (BAC) en 2018, j’ai tout naturellement fait une recherche rapide pour voir si notre collection contenait des documents liés à ma ville natale, au Labrador. En recherchant simplement « Rigolet », j’ai obtenu quelques résultats, dont un document qui n’avait pas encore été numérisé : A wedding in Rigolet, 1923 [un mariage à Rigolet, 1923]. Comme la photo n’avait pas été numérisée, je l’ai mise de côté et ne m’en suis souvenue que l’été dernier, lorsque je cherchais dans la collection de l’International Grenfell Association (IGA) pour cette même période. Je me suis dit que je tenterais le coup et j’ai commandé la boîte pour en examiner le contenu. Lorsque les photos sont arrivées, je les ai feuilletées rapidement pour trouver celle que je cherchais; j’avais le pressentiment que j’allais y découvrir quelque chose d’intéressant. Après tout, je viens d’une collectivité de seulement 320 habitants; j’étais donc certaine de connaître les membres de la famille et leurs proches.

J’ai enfin trouvé la photo au fond de la pile.

Les visages me semblaient familiers…

Et j’ai fini par reconnaître l’un d’entre eux!

Je connaissais bien l’homme sur la photo, puisque j’avais dessiné son portrait pour l’offrir comme cadeau de Noël à ma grand-mère, de nombreuses années auparavant. C’était bien lui, mon arrière-grand-père « Papa Wilfred » et, à sa gauche, mon arrière-grand-mère, Beatrice! Pendant toutes ces années, la photo était cachée dans les archives, et je pouvais enfin la montrer à ma famille au Labrador!

J’ai publié l’image sur Facebook en y étiquetant Un visage, un nom dans l’espoir de pouvoir identifier d’autres personnes sur la photo. En quelques minutes, j’ai reçu une réponse. La femme se tenant debout à la droite de Wilfred est sa mère, Sarah Susanna, et la femme agenouillée entre les deux est la célèbre infirmière inuk Kirkina Mucko (née Elizabeth Jeffries). Les rapports diffèrent, mais d’après les dires des habitants locaux, le père d’Elizabeth est allé chercher une sage-femme pendant l’accouchement de sa femme. À son retour, il découvre que sa femme et le nouveau-né sont décédés pendant son absence, et que la petite Elizabeth, âgée de deux ans, souffre d’engelures graves aux jambes et est atteinte de gangrène. Aucun médecin ne se trouve à proximité. Il prend alors l’éprouvante et pénible décision d’amputer lui-même les jambes d’Elizabeth au moyen d’une hache. Afin d’arrêter l’hémorragie, il met les jambes de sa fille dans un baril de farine! Un article publié des années plus tard raconte que le médecin local, Wilfred Grenfell (nommé plus tard sir Wilfred Grenfell), a pleuré lorsqu’il a entendu l’histoire de la fillette. Dès lors, Wilfred Grenfell amène Elizabeth à un orphelinat à St. Anthony, à Terre-Neuve, et réussit à recueillir assez de fonds pour lui procurer des jambes artificielles. Elle accompagnera le médecin aux États-Unis et au Mexique afin de recueillir des fonds pour l’IGA. À l’époque, l’IGA fournit des soins de santé à toute la population du Labrador et réalise diverses activités de bienfaisance.

Photo noir et blanc d’un grand groupe d’hommes, de femmes et d’enfants sur un quai. On aperçoit au loin une étendue d’eau, un bateau et des montagnes.

Certaines de ces personnes ont parcouru plus de 30 km pour écouter la messe annuelle du révérend anglican Parson Gordon, qu’on voit ici à droite, vêtu d’une robe religieuse. (e011439717)

Plus tard, pour des raisons inconnues, un médecin de Boston la renommera Kirkina. Des Inuit expliquent qu’à l’époque, les enfants inuit qui se trouvaient dans des hôpitaux du Sud se faisaient parfois traiter comme des animaux de compagnie. Dans de tels cas, ces enfants ne revoyaient plus jamais leur famille dans l’Arctique après avoir été emmenés et élevés par le personnel des hôpitaux. Je présume que c’est ce genre d’attitude qui a amené le médecin à changer le nom d’Elizabeth. À son mariage, son nom change encore une fois et devient Kirkina Mucko.

Pendant la pandémie de grippe espagnole de 1918, son mari et trois à six de ses enfants décèdent (certains témoignages pourraient avoir inclus ses beaux-enfants, ce qui explique l’écart). Motivée par cette perte énorme, Kirkina Mucko décide de devenir infirmière. Elle suit une formation et décide plus tard de se spécialiser dans la profession de sage-femme. Sa carrière durera 36 ans! De nombreux articles de journaux et textes de l’IGA mentionnent Kirkina Mucko et son histoire exceptionnelle, et bon nombre de ces écrits se trouvent maintenant dans les fonds documentaires à BAC. En 2008, le refuge pour femmes de Rigolet a été nommé Kirkina House en hommage à la force et à la persévérance de l’infirmière.

Ce blogue fait partie d’une série portant sur les Initiatives du patrimoine documentaire autochtone. Apprenez-en plus sur la façon dont Bibliothèque et Archives Canada (BAC) améliore l’accès aux collections en lien avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Voyez aussi comment BAC appuie les communautés en matière de préservation d’enregistrements de langue autochtone.


Heather Campbell est une artiste inuk originaire du Nunatsiavut, à Terre-Neuve-et-Labrador. Elle a été recherchiste dans l’équipe du projet Nous sommes là : Voici nos histoires, à Bibliothèque et Archives Canada.

 

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.