L’affaire « personne » marque un tournant dans la lutte des femmes pour obtenir l’égalité politique au Canada. Elle a joué un rôle clé à deux égards : d’abord en établissant que la Constitution canadienne pouvait être interprétée en tenant compte des besoins changeants de la société, puis en déterminant que les femmes comptaient parmi les « personnes ayant les qualités requises » selon l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 (devenu la Loi constitutionnelle de 1867). Ces étapes ont ouvert la voie aux femmes en leur reconnaissant le droit de jouer un rôle actif en politique.
La série d’événements ayant mené à l’affaire « personne » débute en 1916, avec la nomination d’Emily F. Murphy à titre de première juge municipale de l’Empire britannique. Défiant son autorité, des avocats contestent sa nomination, qu’ils jugent contraire à la loi : selon eux, les femmes n’étant pas considérées comme des personnes selon l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, elles sont inaptes à siéger en tant que magistrates. La cour provinciale de l’Alberta rejette cet argument et confirme la nomination de Mme Murphy, déclarant que les femmes sont bel et bien des personnes; toutefois, cette décision ne fait l’objet d’aucune proclamation fédérale.
Au cours des dix années suivantes, des groupes de femmes font pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il admette les femmes au Sénat. On leur répond que c’est impossible, en invoquant une fois de plus l’Acte de l’Amérique du Nord britannique qui précise que seules les « personnes ayant les qualités requises » peuvent occuper une telle fonction.
Mme Murphy découvre toutefois qu’en vertu de l’article 60 de la Loi sur la Cour suprême, cinq personnes peuvent présenter une pétition au gouvernement en vue de légiférer sur une question constitutionnelle, à la condition qu’elles soient visées par cette question. Elle se tourne alors vers Henrietta Muir Edwards, Nellie Mooney McClung, Louise Crummy McKinney et Irene Marryat Parlby, connues pour leur engagement politique et social visant l’égalité des droits pour les femmes. Le groupe forme ce qu’on appelle aujourd’hui les « Célèbres cinq » (traduction littérale de l’anglais The Famous Five).

(Devant, de g. à dr.) : Mme Muir Edwards, bru d’Henrietta Muir Edwards; Mme J. C. Kenwood, fille de la juge Emily Murphy; l’honorable Mackenzie King; Mme Nellie McClung. (Derrière, de g. à dr.) : les sénatrices Iva Campbell Fallis et Cairine Wilson. Cette photo souligne le dévoilement d’une plaque commémorant les efforts des cinq Albertaines à l’origine de l’affaire « personne », grâce à laquelle les femmes se sont vu accorder le droit d’occuper une charge publique au Canada. Elle a été prise par Eugene M. Finn, de l’Office national du film, le 11 juin 1938, à Ottawa (Ontario). (no MIKAN 3193154)

Lettre d’Emily F. Murphy sur l’admission des femmes au Sénat du Canada, adressée à M. W. Stuart Edwards, sous-ministre de la Justice, le 9 novembre 1927. (no MIKAN 3812093)
Ensemble, elles préparent et peaufinent leur approche, comme en témoigne une lettre du 9 novembre 1927 envoyée par Mme Murphy au sous-ministre de la Justice, W. Stuart Edwards. Leurs deux questions portent sur les points suivants : le gouverneur général ou le Parlement ont-ils le pouvoir de nommer une femme au Sénat? Et si oui, le Parlement peut-il établir les modalités à cet effet? (Pour clarifier davantage la situation et éviter d’autres délais en cas de renvoi à la Cour suprême, elles envisagent d’inclure une troisième question sur la procédure à suivre pour nommer des femmes au Sénat, mais décident finalement de la mettre de côté.)
La Cour suprême du Canada leur répond par la négative dans les deux cas.
Mais Mme Murphy n’abandonne pas, comme en témoigne cette autre lettre qu’elle fait parvenir à M. Edwards : mentionnant la décision négative de la Cour suprême, elle allègue que celle-ci n’a pas répondu correctement aux questions des pétitionnaires, ce qui justifie d’interjeter appel.

Lettre d’Emily F. Murphy sur l’admission des femmes au Sénat du Canada adressée au sous-ministre de la Justice, W. Stuart Edwards, le 26 juillet 1918. (no MIKAN 3812093)
Le 18 octobre 1929, au terme de l’appel, la plus haute cour fédérale de l’époque – le Comité judiciaire du Conseil privé d’Angleterre – casse la décision de la Cour suprême. Dans un jugement historique, elle statue que les femmes canadiennes sont des personnes en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, reconnaissant ainsi leur admissibilité au Sénat. Quatre mois plus tard, Cairine Reay Mackay Wilson est nommée sénatrice; elle siégera jusqu’à son décès, en 1962.
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