Par James Bone
Le gouvernement canadien met en place au début des années 1940, durant la Seconde Guerre mondiale, les premières composantes du filet de sécurité sociale que nous connaissons aujourd’hui. Le gouvernement cherche à éviter, ou du moins à atténuer, l’accroissement du chômage vécu au Canada lorsque les soldats sont rentrés au pays après la Première Guerre mondiale, en particulier dans le secteur manufacturier, touché par la fin de la production de guerre et la baisse de la demande qui en est résultée. Une des pièces maîtresses de ce programme est l’assurance-chômage : un programme obligatoire auquel les employés et les employeurs doivent contribuer en fonction du salaire de l’employé; ainsi, une personne qui perd son emploi pourra bénéficier d’un revenu continu durant une période déterminée. La loi établissant le programme reçoit la sanction royale en août 1940 et entre en vigueur le 1er juillet 1941. L’assurance-chômage a été modifiée et réformée depuis, mais l’actuel programme d’assurance-emploi est resté le même pour l’essentiel.

Timbre d’assurance-chômage de 27 cents non oblitéré datant de 1941 (MIKAN 4933817)

Timbre d’assurance-chômage de 51 cents datant de 1941 (MIKAN 4933828)
À l’époque, bien entendu, il n’y avait pas de gestion de documents informatisée; il fallait concevoir un moyen permettant de montrer non seulement que les cotisations avaient bien été versées, mais aussi qu’un employé donné était admissible au programme. La méthode la plus courante, à la fin du 19e et au début du 20e siècle, pour prouver que les taxes ou impôts ont été payés pour les services gouvernementaux consiste à utiliser des timbres fiscaux. Comme les timbres postaux, les timbres fiscaux précisent le montant payé pour acheter le timbre et la taxe ou l’impôt qu’il sert à payer. Après usage, les timbres fiscaux sont oblitérés par un agent responsable pour indiquer que leur valeur a été utilisée aux fins prévues. Les timbres d’assurance-chômage sont vendus dans les bureaux de poste; pour acheter ces timbres, les employeurs doivent retenir un certain pourcentage du salaire de leurs employés, tout en versant leur propre contribution. Les timbres sont ensuite collés dans des carnets, généralement conservés au service des ressources humaines ou de gestion de l’entreprise, puis soumis annuellement au bureau local de la Commission de l’assurance-chômage du Canada. Les employés ont un carnet par année, conservé par leur employeur. Afin de garantir que les sommes retenues sur le salaire servent bien à l’achat de timbres d’assurance-chômage, la loi autorise les employés à vérifier leur carnet deux fois par mois.

Carnet de la Commission de l’assurance-chômage usagé daté de mai à juillet 1949 (MIKAN 4937508)

Carnet de la Commission de l’assurance-chômage usagé daté d’octobre et novembre 1949 (MIKAN 4937509)
Au lancement du programme d’assurance-chômage, plusieurs types d’emploi en sont exclus : l’agriculture, la pêche, la foresterie et l’exploitation forestière, la chasse et la trappe, les services de transport aérien et maritime, la médecine, les soins infirmiers, l’enseignement, l’armée, la police et la fonction publique. Avec le temps, le programme couvre un nombre grandissant d’emplois. Un pas important est franchi en 1957, alors que l’industrie de la pêche devient admissible, apportant ainsi une garantie de revenu indispensable dans la nouvelle province de Terre-Neuve et dans l’ensemble des Maritimes. Au début, l’image d’un poisson est imprimée sur le timbre afin d’indiquer son utilisation prévue dans l’industrie de la pêche. Dans les années suivantes, les timbres d’assurance-chômage pour le secteur des pêcheries sont émis sans cette image.

Timbres d’assurance-chômage de 1959 (MIKAN 4933286)
Parmi les divers types de timbres fiscaux utilisés par les gouvernements fédéral et provinciaux, les timbres d’assurance-chômage sont relativement rares. C’est qu’en vertu de la loi et des règlements de ce programme, il est illégal de vendre des timbres non oblitérés; seuls un employeur ou le service des ressources humaines d’un employeur peuvent légalement posséder des timbres non oblitérés. En outre, la plupart des carnets et timbres oblitérés ayant été soumis à la Commission de l’assurance-chômage, ainsi que la majeure partie des timbres non oblitérés sont détruits volontairement après leurs cinq années de conservation prévues. Enfin, les timbres non vendus sont retournés par les bureaux de poste à la Commission de l’assurance-chômage pour être détruits quand ils ne peuvent plus être vendus, ce qui se produit lorsque des modifications aux cotisations à l’assurance-chômage exigent l’émission de nouveaux timbres.
La collection Danny Leong
Fort heureusement, Bibliothèque et Archives Canada a pu acquérir la collection de timbres d’assurance-chômage Danny Leong (R15771), laquelle comprend plus de 11 000 timbres, ainsi que des carnets d’assurance-chômage de toutes les années où ils ont été utilisés, en plus de divers documents connexes. Danny Leong et sa veuve, Violet Anne Leong, étaient des employés de la Commission de l’assurance-chômage en Colombie-Britannique. Grâce à cet emploi, monsieur Leong a pu collectionner des spécimens de timbres et des carnets qui n’étaient plus nécessaires pour le travail, la formation ou la référence dans le bureau.
La plupart des timbres de cette collection sont des spécimens préoblitérés, imprimés par la Compagnie canadienne des billets de banque à Ottawa et expédiés à la Commission de l’assurance-chômage à titre d’exemples de timbres à émettre et à vendre dans les bureaux de poste. La collection comprend également des spécimens de carnets d’assurance et des carnets utilisés que l’on conservait peut-être aux fins de formation. La pièce la plus originale est une épreuve gravée d’un timbre unique datant de mars 1959. Cette remarquable épreuve a été réalisée pour un timbre d’assurance-chômage dédié à l’agriculture, mais qui n’a jamais été émis; comme mentionné plus haut, le secteur de l’agriculture n’était pas couvert par l’assurance-chômage à cette époque. De toute évidence, on réfléchissait à la possibilité d’inclure le travail agricole dans le programme, et cette réflexion était suffisamment sérieuse pour concevoir et graver un timbre à cette fin. Consulté à propos de cette pièce, Yves Baril attribue très probablement le travail à Donald Mitchell, graveur de lettres pour la Compagnie canadienne des billets de banque, alors que le concept semble être celui de Harvey Prosser, sous la supervision de John Francis Mash.

Épreuve d’un timbre d’assurance-chômage pour l’agriculture, jamais émis, daté du 12 mars 1959 (MIKAN 4933808)
L’utilisation des timbres fiscaux et des carnets d’assurance-chômage pour enregistrer le versement des cotisations se poursuit jusqu’au début des années 1970. Par la suite, le programme est remanié avec l’introduction des dossiers informatiques et l’apparition des formulaires de Relevé d’emploi, encore utilisés aujourd’hui. Mais surtout, la modification de la Loi sur l’assurance-chômage en 1971 élargit son application à presque tous les secteurs d’activité. La dernière émission de timbres d’assurance-chômage, imprimés en 1968, a très peu servi; seuls quelques rares timbres oblitérés ont été retrouvés par des collectionneurs. La collection de timbres d’assurance-chômage Danny Leong intéressera autant ceux qui étudient la philatélie que l’histoire du travail au Canada; elle peut être consultée à Bibliothèque et Archives Canada. Pour plus d’informations sur les timbres fiscaux canadiens, dont les timbres d’assurance-chômage, nous vous invitons à consulter la remarquable monographie Canada Revenues d’Edward Zaluski.

Feuille de timbres d’assurance-chômage non oblitérés datant de 1948 (MIKAN 4933742)
James Bone est archiviste à la Division des archives privées de la vie sociale et de la culture, Direction générale des archives, Bibliothèque et Archives Canada