« Incitation à faire un potlatch »

Par Sevda Sparks

Le potlatch est une pratique cérémoniale axée sur le don que pratiquent les peuples autochtones de la côte nord-ouest du Pacifique, au Canada comme aux États-Unis. L’interdiction des potlatchs, adoptée par le gouvernement du Canada en 1885, a été modifiée à de nombreuses reprises pour devenir de plus en plus rigoureuse, jusqu’à son abrogation en 1951. Les fonds de Bibliothèque et Archives Canada incluent une foule de documents sur les potlatchs, y compris des lettres et des pétitions traitant de l’interdiction de cette coutume ainsi que des efforts déployés pour la conserver. La correspondance de Billy Assu, chef des Kwakwakawakw, de William Halliday, agent des Indiens, et de Matthew Begbie, juge en chef de la Colombie-Britannique, est particulièrement intéressante à cet égard.

Photo noir et blanc d’un paysage de rue montrant des participants à un potlatch et des objets devant être donnés.

Potlatch, Alert Bay, Colombie-Britannique, juin 1907 (a074039-v8)

Au plus fort de l’interdiction des potlatchs, en 1919, le chef Billy Assu écrit au surintendant adjoint des Affaires indiennes, J. D. Maclean, pour lui expliquer ce qu’est un potlatch, « notre ancienne coutume consistant à faire des dons ». Il décrit l’origine de la célébration et le souhait qu’elle soit conservée, affirmant :

« Nous savons tous que les temps changent. Autrefois, tout ce qui comptait, c’était les aliments, le poisson séché, les racines, les baies, les choses du genre. À l’époque, un chef prenait possession de tout cela et le distribuait à ceux qui n’avaient rien […] »

Le potlatch permet de s’accrocher à cette importante coutume culturelle malgré tous les changements. Assu fait également des commentaires généraux sur le potlatch dans la société autochtone :

« […] certains apprenaient à faire des canots, d’autres à chasser, d’autres à prendre du poisson, d’autres enfin à se procurer les matériaux dont nous faisions les vêtements, puis tout était réparti entre nous. C’est comme ça qu’ont commencé les festins où nous faisons des dons. »

L’article 149 de la Loi sur les Indiens, qui interdit les potlatchs, est difficile à appliquer, autant dans les faits que sur le plan juridique… Il est ardu de définir précisément dans la Loi en quoi consiste un potlatch, et de prouver que les Autochtones en organisent. En 1889, le juge en chef Begbie mentionne que la loi sur le potlatch a des lacunes en ce qui a trait à l’imposition d’une peine. Il affirme :

« […] si l’Assemblée législative comptait interdire toute réunion à laquelle on donne le nom de “potlatchˮ, elle aurait dû le dire clairement. Mais si l’intention était de créer une nouvelle infraction qui n’existait pas auparavant en vertu de la loi, il faut alors la définir dans la loi. »

La Loi est modifiée en 1895, et les agents sont tout particulièrement déterminés à poursuivre en justice les sujets d’« incitation à faire un potlatch », malgré le manque de preuves dans certains cas, comme le montre William Halliday, agent du sous-ministre adjoint et secrétaire J. D. McLean, à Ottawa. Ces méthodes visant à éliminer les potlatchs incluent l’organisation de réunions entre les agents et les dirigeants des Premières Nations, durant lesquelles les agents peuvent « leur lire l’article précis […] et donner les raisons pour lesquelles les potlatchs sont à condamner et doivent disparaître ». Les agents considèrent que cette tradition équivaut à du gaspillage et laissent les nations « dans un état proche de la pénurie ».

Après une réunion du genre, l’agent Halliday affirme :

« Hier et aujourd’hui, ils ont dans une certaine mesure enfreint cet article en tenant des cérémonies de deuil, qui consistent en partie à chanter des chants de deuil, et en partie à recevoir des dons des membres de la famille survivants, mais je ne suis intervenu d’aucune façon. »

De tels récits faits par des agents et d’autres responsables du Ministère illustrent une tentative de surveiller, de contrôler et de réprimer des aspects essentiels de la culture des Premières Nations, au-delà des potlatchs proprement dits. Cela se poursuit malgré les efforts déployés par les chefs autochtones pour expliquer aux représentants du gouvernement leur mode de vie et leurs coutumes.

Photo noir et blanc d’un groupe de participants à un potlatch et d’objets devant être donnés.

Potlatch, 1907 (a074038-v8)

Le grand contraste entre la lettre du chef Assu, les remarques du juge Begie et le récit de l’agent Halliday permet de mieux comprendre la question de l’interdiction des potlatchs. La lettre d’Assu décrit ces cérémonies et leur importance en allant droit au but. Les commentaires de Begbie mentionnent la difficulté de tenter de contrôler des pratiques culturelles par des moyens législatifs. Le récit d’Halliday donne une idée de l’état d’esprit et des pratiques du gouvernement du Canada à l’époque. L’accès à cette multitude de points de vue fait ressortir l’importance des dossiers d’archives lorsque l’on fait des recherches sur des enjeux historiques complexes.

Ressources supplémentaires


Sveda Sparks a travaillé au point de service public de Vancouver de Bibliothèque et Archives Canada à l’été 2017 dans le cadre du Programme fédéral d’expérience de travail étudiant (PFETE).

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.