Perspectives des porteurs noirs : l’éclairage des documents militaires

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Par Rebecca Murray

Bibliothèque et Archives Canada (BAC) possède plus de 30 millions d’images sur divers supports, comme des images numériques, des négatifs et des photographies. Une seule photo d’archives peut en dire long sur la mode, le climat, la technologie, les coutumes et la culture d’une époque! Pourtant, ces thèmes importants sont souvent négligés dans les descriptions archivistiques, la priorité étant accordée aux principaux sujets photographiés.

Chaque fois que je vois une image dans les collections, je constate qu’elle vaut effectivement 1000 mots. Prenons l’exemple de cette photo relativement simple montrant deux personnes sur un fond pratiquement noir. On y trouve néanmoins une foule de détails et de renseignements historiques qui portent à réfléchir. Que nous révèlent les uniformes des deux hommes? Un bâtiment ou un paysage à l’arrière-plan nous aurait-il permis de déterminer où la photo a été prise?

Un porteur de voitures-lits (à gauche) serre la main d’un soldat.

1967-052, pièce Z-6244-4 : Arrivée des membres du Royal Canadian Regiment au fort Lewis : des unités de la Force spéciale de l’Armée canadienne équivalant à une brigade viennent de déménager au fort Lewis (Washington) et commenceront bientôt leur instruction. Parmi les nouveaux arrivants se trouve un des nombreux membres de la Force spéciale venant de Halifax. Ci-dessus, le porteur Jim Jones de Calgary souhaite bonne chance au soldat Harry Adams. (e011871942)

J’ai vu cette image pour la première fois en parcourant l’acquisition 1967-052 du ministère de la Défense nationale à la recherche de femmes militaires, qui sont très peu représentées dans les photos de l’armée (il n’y en a d’ailleurs aucune ici). Les documents visuels, en effet, ne nous renseignent pas seulement sur leur sujet principal : ils peuvent apporter un éclairage sur de nombreux éléments secondaires ou moins connus, comme l’histoire des porteurs de voitures-lits. Malgré mon diplôme en histoire canadienne, c’est dans des livres comme Bluebird, de Genevieve Graham, et Le porteur de nuit, de Suzette Mayr, que j’ai récemment découvert l’existence des porteurs et leurs réalités.

Pour trouver des images de porteurs de voitures-lits à BAC, vous ne commenceriez probablement pas par les fonds du ministère de la Défense nationale, mais par ceux du ministère des Transports (RG12) ou de la Compagnie des chemins de fer nationaux (RG30). Dans le cas qui nous occupe, ni les porteurs ni le chemin de fer (ni même la guerre de Corée) ne sont mentionnés dans la description de la sous-sous-série « préfixe Z – CA ». Ce n’est pas étonnant, car on y trouve environ 7 500 images documentant des événements au fil de plusieurs décennies, dont la Deuxième Guerre mondiale. Moins de 15 % des images de cette sous-sous-série sont décrites au niveau de la pièce (ou photographie) dans la base de données. La plupart sont cependant décrites en détail dans les instruments de recherche (c’est-à-dire des listes de pièces) joints à la description en format numérisé au niveau de la sous-sous-série.

La description complète de l’image Z-6244-4 n’existe que sur l’enveloppe originale; elle doit être commandée et consultée en personne. Elle fait état de la présence du porteur et, à ma grande surprise, donne même son nom : il s’agit de Jim Jones, de Calgary. J’ai rarement vu ce type de renseignements au sujet des images consultées au cours de ma recherche. Je me demande d’ailleurs pourquoi cette photo est beaucoup mieux décrite que les autres. N’ayant pas de liste complète des légendes et des notes des photographes, nous ne pouvons pas tirer de grandes conclusions.

Il ne faut pas hésiter à s’éloigner temporairement de nos intentions de recherche quand on peut jumeler des images à leurs descriptions complètes, surtout si elles comprennent les noms et d’autres renseignements sur les personnes photographiées. Les histoires méconnues que cachent ces photos méritent bien plus qu’une courte description de base.

Ce processus s’appelle la description réparatrice. Il consiste à rectifier les pratiques et à corriger les données qui ont pour effet d’exclure, de réduire au silence ou de mal décrire des personnes ou des récits dans les archives. Il peut être mené à grande échelle ou sur une seule photographie à la fois et se poursuivra indéfiniment. Quand j’ai découvert des images de porteurs et d’autres employés noirs des chemins de fer de l’époque de la Deuxième Guerre mondiale, j’ai transmis mes notes à mes collègues du balado de Bibliothèque et Archives Canada Voix dévoilées : Confidences de porteurs. Nous avons ensuite pu compter sur la collaboration d’autres collègues s’intéressant à cette période, à la présence de porteurs sur des photos du ministère de la Défense nationale et à la façon dont ils sont représentés dans la collection.

Ne manquez pas la suite de cette série de blogues!


Rebecca Murray est conseillère en programmes littéraires au sein de la Direction générale de la diffusion et de l’engagement à Bibliothèque et Archives Canada.

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