Par Jennifer Anderson
L’année 2020 est marquée par le changement, et le travail des archivistes n’échappe pas à la règle, eux qui étudient l’évolution de la société. L’industrie de la vente au détail en est un parfait exemple. Que pouvons-nous apprendre en étudiant les archives d’un grand magasin?
Pendant toute la deuxième moitié du 20e siècle, Sears Canada a été une icône de l’industrie de la vente au détail. L’entreprise possédait des magasins à rayons dans de nombreuses villes, petites et grandes, et embauchait un grand nombre de personnes. Son catalogue de vente par correspondance était distribué d’un bout à l’autre du pays. L’enseigne avait souvent pignon sur rue dans les centres commerciaux, des destinations populaires tant pour les achats que pour le lèche-vitrine. Bref, Sears faisait véritablement partie du paysage urbain.
En ville comme en campagne, bien des familles attendaient avec impatience le catalogue de Noël de l’entreprise, Cadeaux de Rêves. Les consommateurs le parcouraient pour comparer les prix des gros articles, comme les matelas et les appareils électroménagers. Sears détenait plusieurs marques très connues : pensons aux outils Craftsman, aux électroménagers Kenmore, aux appareils électroniques Silvertone et à la gamme de vêtements Jessica. Fermement implanté dans la culture nord-américaine de la vente au détail, Sears incarnait la réussite d’un océan à l’autre.
D’abord établie aux États-Unis, l’entreprise Sears, Roebuck and Co. fait son entrée au Canada en 1952. Elle s’associe alors avec l’entreprise canadienne Robert Simpson Company (Simpsons) pour devenir Simpsons-Sears Ltd. Dès sa première année de vente par catalogue, elle enregistre un chiffre d’affaires de 100 millions de dollars. Elle ouvre son premier magasin en 1953 à Stratford, en Ontario, avant de partir à la conquête du pays. Avec sa nouvelle expérience de magasinage, Simpsons-Sears concurrence l’autre grand joueur de la vente au détail : Eaton. Grâce à leurs magasins et à leurs catalogues, ces deux entreprises attirent des millions de consommateurs canadiens, dont ils influencent le travail et les loisirs.
En 2017, Sears transfère ses archives à Bibliothèque et Archives Canada (BAC). Celles-ci comprennent 200 boîtes de documents textuels, photographiques et audiovisuels, de même que 200 boîtes de catalogues publiés. On y trouve plus de 40 000 photos dépeignant des Canadiens en pleine séance de magasinage, de même que des employés de Sears Canada au travail et lors d’activités sociales.
Comme Sears Canada a longtemps tenu ses propres archives de façon bien organisée, le travail de BAC s’en est trouvé facilité. Les archivistes ont pu classer les documents, étiqueter les fiches et préparer les descriptions en ligne, puis BAC a mis progressivement le tout à la disposition du public. Anticipant l’intérêt pour les photos, nous avons rapidement commencé à les numériser. Je suis maintenant ravie de vous présenter cette collection, et de vous proposer quelques avenues de recherche.
J’ai d’abord été frappée par l’ambiance joyeuse qui émane des photos. Je pense entre autres à celles où l’on voit d’impressionnantes foules réunies pour l’inauguration des magasins Sears.
Les jeunes générations, habituées aux achats en ligne, connaissent peut-être moins ces magasins. Et pourtant, les centres commerciaux qui les ont hébergés font partie de notre paysage depuis longtemps. Cela dit, peu d’entre nous ont connu l’époque où les vêtements étaient faits à la maison ou fabriqués par une couturière ou un tailleur, puis celle où on les achetait au magasin du coin, sans parler des vêtements de confection industrielle, vendus à prix abordables dans les grands magasins de l’après-guerre.Certes, j’avais déjà lu des ouvrages historiques sur l’apparition des centres commerciaux, comme Retail Nation: Department Stores and the Making of Modern Canada, paru en anglais en 2011 et écrit par Donica Belisle. Mais il reste que tous ces changements ont eu lieu dans un laps de temps relativement court.
Les photos de la collection Sears Canada montrent à quel point certaines choses ont changé, et à quel point d’autres sont demeurées les mêmes. Ainsi, elles dépeignent un milieu de travail genré, où les femmes sont vendeuses et les hommes, gérants. Par ailleurs, tout comme aujourd’hui, on voit que le service automobile était un milieu majoritairement masculin. Je connaissais déjà la « charge émotionnelle » qui pesait sur les employées féminines de grands magasins grâce à l’ouvrage de Joan Sangster, Transforming Labour: Women and Work in Postwar Canada (paru en anglais en 2010), mais les photos m’ont permis de mettre ce concept en images.
Je me souviens de slogans comme « Chez Sears, vous en avez pour votre argent… et plus! », mais je ne savais pas que l’entreprise avait déjà offert des prêts hypothécaires et des services immobiliers, ni que les magasins avaient déjà accueilli des pharmacies.
Par contre, je me souviens de l’époque où on pouvait acheter une bicyclette au magasin à rayons de la ville!
Durant les nombreuses heures passées à organiser et à décrire les photos de la collection Sears, je me suis mise à penser à certains thèmes évoqués par les documents, comme le quotidien du personnel des ventes, le lèche-vitrine, la mode abordable, et les liens communautaires tissés grâce aux magasins locaux. À l’époque, on pouvait conclure un après-midi de magasinage en discutant autour d’une tasse de thé à la cafétéria du magasin!
L’attention méticuleuse portée aux étalages des vitrines, à l’éclairage et à l’affichage, de même que l’embauche de célébrités pour faire la publicité du magasin et visiter des succursales, en disent long sur les techniques de marketing de la fin du 20e siècle.
En explorant les photos d’archives, j’ai revisité ma propre histoire. Je me suis souvenue de ma première sortie avec mes amis lorsque j’ai obtenu mon permis de conduire : nous étions allés au centre commercial. Puis, je suis tombée sur une photo originale du catalogue Sears, montrant des vêtements que j’avais convaincu mes parents de m’acheter. J’ai aussi vu des photos d’endroits où j’avais magasiné il n’y a pas si longtemps. Et je sais que le public trouvera lui aussi, dans ces documents d’archives, des souvenirs de son quotidien.
Longtemps présent partout au pays, Sears Canada a influencé la vie économique et sociale des Canadiens, que ce soit du point de vue de l’emploi, du revenu, des finances, des loisirs ou des produits de consommation. Sears Canada a soutenu divers organismes de bienfaisance, festivals culturels, concerts et prestations artistiques, et dans son désir d’attirer les consommateurs, elle a véhiculé des messages sur les loisirs, la culture de consommation, la mode et la vie de banlieue au Canada. Après 65 ans en affaires, l’entreprise a fermé ses portes en 2018.
Les chercheurs intéressés par l’histoire des autres grands magasins du Canada peuvent consulter le fonds T. Eaton Company conservé aux Archives publiques de l’Ontario; les archives de la Compagnie de la Baie d’Hudson aux Archives du Manitoba; et les archives de Dupuis Frères à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ).
Tout comme mes collègues archivistes de ces institutions, je souhaite par mon travail montrer l’importance des sources originales et des informations vérifiables, et rendre les archives accessibles au public afin que nous puissions collectivement mieux comprendre notre passé. J’espère que les archives du fonds Sears Canada (R15993) faciliteront l’étude de l’histoire économique et jetteront un nouvel éclairage sur les souvenirs personnels des Canadiens de la fin du 20e siècle. Quels souvenirs ces photos évoquent-elles pour vous? Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui? Quel genre de recherches voudriez-vous lire, ou faire, à partir de ces documents?
Dites-nous comment nous pouvons vous aider à démarrer votre projet de recherche.
Jennifer Anderson était archiviste à la Direction générale des services au public. Avant cela, elle a œuvré à la Section des sciences, de l’environnement et de l’économie de la Direction générale des archives à Bibliothèque et Archives Canada.
Bonjour,
J’ aimerais savoir où je peux me procurer des anciens catalogues Eaton ou Sears. C’est pour une excellente cause: une personne de 46 ans avec une déficience qui passe sa journée à regarder ces catalogues. Comme iceux qu’il avaient sont complètement usées et déchirés, j’ai pensé que vous pourriez m’aider à en trouver . Merci infiniment de donner suite à ma demande . Vous pouvez me rejoindre par mon courriel : cleduformulaire@videotron.ça
Pauline Gauthier
Jonquière
Bonjour, vous pouvez contacter l’équipe de référence en utilisant le formulaire Poser une question de référence : https://bibliotheque-archives.canada.ca/fra/services/public/posez-nous-question/Pages/posez-nous-question.aspx. L’équipe pourra peut-être vous suggérer des marchands qui vendent ces catalogues. Nous espérons que vous pourrez trouver des catalogues très bientôt.