À la découverte de mon grand-père, Robert Roy Greenhorn : sa vie au Canada (partie 4)

English version

Groupe de garçons travaillant dans un champ à la ferme école de la Philanthropic Society

Par Beth Greenhorn

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique que certains pourraient considérer comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

J’ai conclu la troisième partie de cette série sur mon grand-père, Robert Roy Greenhorn, en évoquant son départ pour la maison Fairknowe à Brockville, en Ontario, au printemps 1889. Il s’agit du foyer, exploité par le philanthrope écossais William Quarrier, qui assurait la répartition des enfants au Canada.

Feuille de papier à en-tête en noir et blanc comportant deux rangées de texte anglais en lettres majuscules noires dans la partie supérieure indiquant : « Maison de répartition pour les enfants écossais et orphelinat canadien, Fairknowe, Brockville (Ontario) ». Il y a une illustration d’une maison à deux étages avec une grande véranda au milieu. L’image est encadrée par un texte dactylographié en noir en écriture cursive. Un cachet indiquant la date de réception de la lettre est apposé dans le coin supérieur droit. La date d’envoi de la lettre figure en bas à droite.

En-tête de lettre de la maison Fairknowe, Brockville, Ontario, Direction de l’immigration, RG 76, vol. 46, dossier 1381, partie 6, Dossiers du service central, 1892-1950. Source : Immigration Program : Headquarters central registry files – Image 378 – Héritage (canadiana.ca).

Avant que les groupes de jeunes ne quittent l’Écosse, des familles de l’Ontario faisaient une demande pour obtenir un enfant aux orphelinats de Quarrier. Lors de la cérémonie d’adieu organisée à l’occasion du départ de mon grand-père, à Glasgow, William Quarrier a assuré aux personnes présentes que l’on avait pris soin de « choisir des foyers convenables pour [les enfants] dans le nouveau pays. Les garçons et les filles étaient encadrés jusqu’à leurs 18 ans. » (sans titre [iriss.org.uk], p. 23, 15 mars 1889, North British Daily Mail (en anglais)).

Sur le formulaire de demande (en anglais), les familles avaient la possibilité de choisir un garçon ou une fille, ainsi qu’une tranche d’âge. Si la demande concernait un garçon, une section était consacrée à des informations comme le type d’exploitation agricole de la famille, le nombre d’heures de travail par jour, la superficie de la terre ainsi que le nombre de vaches à traire. En outre, chaque demandeur devait fournir les noms de cinq personnes de référence : son ministre du culte, son préfet, son médecin et deux autres personnes influentes.

Le placement des enfants était régi par des contrats d’engagement juridiquement contraignants. Selon une exposition en ligne du Musée canadien de l’histoire, les formulaires d’engagement :

… établissaient clairement les responsabilités du foyer d’accueil, de l’enfant, du maître et de la maîtresse. Pour un enfant de moins de dix ans, le maître ou la maîtresse recevait 5 $ par mois de l’agence pour loger, nourrir, scolariser et habiller l’enfant, qui devait effectuer de menus travaux à la maison et à la ferme. De 11 à 14 ans, les enfants ne recevaient en échange de leur travail que le gîte, le couvert et un peu d’éducation. De 14 ans à la fin de l’engagement, soit 18 ans, les enfants étaient censés effectuer le travail d’un adulte à temps plein et avaient donc droit à une rémunération. (Civilisations.ca – À la croisée des cultures – Instruments de musique (museedelhistoire.ca)).

Feuille de papier blanche avec du texte anglais dactylographié en noir. Sur le côté gauche supérieur de la lettre se trouve un cachet noir indiquant la date de sa réception.

Formulaire d’engagement, estampillé par le ministère de l’Intérieur, 24 mars 1900, Direction de l’immigration, RG 76, vol. 46, dossier 1532, partie 1. Source : Immigration Program : Headquarters central registry file – Image 379 – Héritage (canadiana.ca).

Mon grand-père, comme la majorité des enfants du foyer, venait d’une zone urbaine industrielle du Royaume-Uni. Il avait sans doute effectué quelques tâches quotidiennes pendant son séjour à l’orphelinat situé à Bridge of Weir. Cependant, cela ne l’avait sûrement pas préparé à la vie sur une ferme de l’Ontario ni aux rudes hivers canadiens (Société historique de l’immigration canadienne [cihs-shic.ca] (en anglais)). Si certains ont vécu des expériences positives et ont été traités comme des membres de la famille, d’autres ont connu de grandes souffrances, notamment des abus physiques et sexuels et de la négligence (Compensation offered for surviving British Home Children and Child Migrants | Ups and Downs – British Home Children in Canada [wordpress.com] (en anglais)). Les organismes d’émigration, y compris les orphelinats de William Quarrier, devaient effectuer des visites annuelles pour s’assurer que les enfants recevaient des soins adéquats. Selon un livret souvenir de 1907 publié par l’organisation de Quarrier, les enfants qui émigraient au Canada étaient « sous une supervision attentive [leur permettant] de devenir de dignes citoyens de la grande colonie » (William Quarrier – Brockville, Ont., 7,200 immigrated – BRITISH HOME CHILDREN IN CANADA [weebly.com], diapositive 2 (en anglais)).

Mais, comme l’a fait remarquer la regrettée Sandra Joyce, auteure et cofondatrice du British Home Child Group International :

C’est à ce moment-là que le système commençait à s’effondrer. Les frères et sœurs étaient séparés dès leur arrivée et, bien que certains fermiers se souciaient sincèrement des enfants, beaucoup les considéraient simplement comme une main-d’œuvre bon marché. D’autres leur faisaient subir des sévices atroces. Le suivi des enfants placés était généralement laissé au hasard (British Home Children – SANDRA JOYCE (en anglais)).

Chaque année, des inspecteurs de l’enfance étaient chargés de vérifier la situation de plus de 2 000 enfants dans le sud de l’Ontario, une tâche pratiquement impossible. (Société historique de l’immigration canadienne [cihs-shic.ca] (en anglais)).

À leur arrivée au Canada, mon grand-père et son frère ont été confiés à deux familles d’agriculteurs différentes. Le recensement du Canada de 1891 indique que mon grand-oncle, John, âgé de 15 ans, travaillait comme domestique pour Robert et Mary Parker dans une ferme près de Brockville, en Ontario. Selon ma tante Anna, Robert a ensuite perdu la trace de John, qui est parti vers le nord et s’est finalement installé dans l’Ouest canadien. J’ai trouvé sur Ancestry la notice nécrologique d’un certain John Greenhorn, né vers 1877 en Écosse, et décédé le 31 mars 1961 à l’âge de 84 ans à Victoria, en Colombie-Britannique. Je crois qu’il s’agit de mon grand-oncle.

Comme je l’ai fait remarquer dans la troisième partie de la série, j’espérais trouver des documents concernant mon grand-père après son arrivée à la maison Fairknowe, à Brockville. Malheureusement, ces documents ont été détruits. En discutant avec mon père, Ralph, j’ai appris que son père avait d’abord vécu chez une famille habitant près du hameau de Philipsville, en Ontario, à environ 46 kilomètres de Brockville. Je ne sais pas combien de temps mon grand-père a vécu avec cette famille. J’ai cependant cru comprendre qu’il y avait été maltraité, avant d’être recueilli par les King, qui habitaient sur une ferme voisine. En 1891, mon grand-père, âgé de 12 ans, était enregistré comme domestique et vivait avec Aulga (sic) [Auldjo] et Mary (Ann) King ainsi que leurs enfants adultes, William et Christine (Recensement du Canada de 1891). Lors du recensement du Canada de 1901, Robert vivait toujours avec Anldfo (sic) [Auldjo] et Mary Ann King, ainsi que leur petite-fille, Gladys Marshall. J’ai été soulagée de savoir que sa relation avec les King avait changé : il n’était plus un domestique, mais avait été adopté par la famille King. Ma tante Anna se souvient que Robert parlait en termes élogieux des King qui, selon lui, « ont toujours été bons avec [lui] ». (conversation, 22 août 2023) Les données du recensement du Canada de 1901, combinées aux souvenirs de ma tante, laissent penser que le sort de mon grand-père s’est amélioré et qu’il a vécu dans une famille bienveillante.

La partie suivante peut sembler hors sujet, mais je vous assure qu’elle concerne aussi l’histoire de mon grand-père. J’ai vécu ma plus belle expérience d’emploi étudiant durant deux étés, au début des années 1980. J’ai notamment eu l’occasion de participer à un projet de recherche historique sur les bâtiments patrimoniaux et les familles des cantons de Bastard et de South Burgess, qui comprennent le hameau de Philipsville. Le projet, mené par l’historienne Diane Haskins, a abouti à la publication de My Own Four Walls: heritage buildings and the family histories in Bastard and South Burgess Township (en anglais), en 1985. Cet emploi m’a permis de passer une semaine aux Archives nationales du Canada, aujourd’hui Bibliothèque et Archives Canada (BAC), pour effectuer des recherches sur les documents de recensement de l’Ontario conservés sur microfilms. Je ne me doutais pas alors que je travaillerais à BAC un jour, mais je m’écarte du sujet. Revenons à l’histoire de mon grand-père.

En août 2023, ma tante Anna m’a montré son exemplaire de My Own Four Walls. Le chapitre consacré à Philipsville comprend une photographie de la meunerie et scierie de Reuben Haskin, prise vers 1900. L’homme en haut à gauche, agenouillé sur une poutre avec une hache à la main, est identifié comme étant Bill Greenhorn. Je me souvenais avoir vu cette photographie lors de mes recherches en tant qu’étudiante, mais je n’avais pas fait le lien. J’avais supposé que la personne qui avait inscrit les noms des personnes sur cette photographie avait mal identifié l’homme tenant la hache et s’était trompée de nom de famille. À ma connaissance, il n’y avait que trois personnes dénommées Greenhorn dans le Sud-Est de l’Ontario au début du siècle : mon grand-père, Robert, et ses frères, John et Norval. En fait, avant 2018, je n’avais jamais vu de portrait de jeune homme de mon grand-père. C’est ma cousine Joyce Madsen, la fille de ma tante Jenny, qui m’avait alors montré une photo lors d’une visite. Lorsque j’ai commencé à travailler sur l’histoire de notre grand-père, Joyce m’a généreusement donné le portrait de Robert pris au début de sa vingtaine (voir partie 1).

Groupe composé de sept hommes, de deux femmes et de deux enfants posant sur le sol, sur une poutre et sur une échelle devant un bâtiment ouvert en bois.

Meunerie et scierie de Reuben Haskin, Philipsville (Ontario), vers 1900. Dernière rangée, de gauche à droite : Robert Greenhorn et deux autres hommes non identifiés. Rangée centrale, de gauche à droite : Joe Halladay, Kenneth Haskin, un enfant non identifié, Allan Haskin et Philo Haskin. Première rangée, de gauche à droite : Helen Haskin, Bertha Haskin, Miss Shire et M. McCollum. Fournie gracieusement par Bruce Haskins. (OCLC 16752352, p. 96)

En travaillant sur la présente série, j’ai appris, grâce aux données du recensement du Canada de 1911, que mon grand-père était employé comme ouvrier dans une scierie et qu’il logeait chez Reuben et Bertha Haskin à Philipsville. Je n’aurais jamais fait le lien si ma tante Anna ne m’avait pas remis en mémoire cette photographie publiée dans My Own Four Walls.

Le 14 juillet 1916, les registres d’accès au cadastre de l’Ontario pour le comté de Leeds indiquent qu’Auldjo et Mary Ann King ont concédé à Robert des parties des lots 21 et 22, les terres voisines de leur ferme, pour 10 $, selon certaines conditions non spécifiées liées à l’espérance de vie de Mary Ann. Deux mois plus tard, le 16 septembre 1916, Robert a épousé ma grand-mère, Blanche Carr (Ancestry.ca -Mariages, Ontario, Canada, 1826 à 1939). Née en mai 1898, elle était de 19 ans la cadette de mon grand-père, mais elle l’avait connu toute sa vie, puisqu’elle avait grandi juste à côté de la ferme des King.

Mes grands-parents possédaient une ferme laitière et bovine ainsi qu’une érablière, que ma famille appelle affectueusement « la ferme ». Ils ont eu huit enfants, dont sept ont survécu jusqu’à l’âge adulte : Jennie, Roy, Josephine (Jo), John, Jean, Arnold et mon père, Ralph. Nellie, née en 1924, est décédée l’année suivante. Elle est enterrée avec mes grands-parents au cimetière Halladay à Elgin, en Ontario.

Un groupe composé d’hommes, de femmes et d’enfants, sur deux rangées, debout sur la neige en tenue d’intérieur devant un bâtiment à ossature en bois, à droite, et un arbre, à gauche.

Devant la maison de ferme, à Philipsville (Ontario), vers 1940. Première rangée, de gauche à droite : mon oncle Arnold, Alex Morrison (le mari de ma tante Jo), ma grand-mère Blanche, ma tante Jo, ma tante Jean, mon grand-père Robert et mon oncle John. Deuxième rangée, de gauche à droite : mon oncle Roy, Mary et Hugh (les enfants de ma tante Jo) et mon père, Ralph. Fournie gracieusement par l’auteure du billet de blogue, Beth Greenhorn.

La vie de mes grands-parents n’était pas facile, surtout durant les premières années de leur mariage. Leur première maison, située à quelques propriétés de la ferme familiale des King, présentait son lot de défis. Ma tante Anna se souvient que la sage-femme de Blanche a décrit leur maison comme étant « une pauvre cabane », dans laquelle des seaux recueillaient les eaux de pluie qui traversaient le toit (courriel d’Anna Greenhorn à Beth Greenhorn, 19 janvier 2024). Après avoir reçu le courriel de ma tante, j’ai relu les mémoires non publiés de mon père. Il y évoque brièvement Margaret (Meg) Nolan, la sage-femme qui a mis au monde tous les enfants de Blanche. Au moment du recensement du Canada de 1931, Margaret Nolan, âgée de 62 ans, était employée comme infirmière auxiliaire et vivait toujours à Philipsville.

Le recensement du Canada de 1921 indique que Blanche et Robert Greenham (sic) avaient acheté un terrain à côté de celui de la famille King, où ils ont finalement construit leur maison. Robert était agriculteur. Le couple avait trois enfants : Jennie, âgée de cinq ans, Roy, âgé de trois ans et Jo, âgée de deux ans à l’époque.

Lors d’une conversation avec tante Anna en août dernier, elle m’a raconté la façon dont mes grands-parents ont d’abord construit la grange pour loger la famille pendant la construction de la maison. La priorité était de subvenir à leurs besoins et il leur fallait un abri pour traire les vaches. Dès que la construction de la maison le permit, ma grand-mère et mes tantes, Jennie et Jo, et peut-être Nellie et Jean, s’y sont installées. Mon grand-père et mes oncles, Roy et John, ont continué à dormir dans la grange jusqu’à ce que la maison ait des cloisons intérieures offrant plus d’intimité. Mon père m’a dit que la famille n’a pas eu d’électricité avant qu’il soit en dixième ou onzième année, c’est-à-dire au milieu des années 1940.

L’agriculture était, et est toujours, un travail difficile, nécessitant de longues heures de travail 365 jours par an. La famille entière était mise à contribution. Bien qu’il n’y ait jamais eu d’argent pour s’offrir du luxe, mon père disait qu’il y avait toujours de la nourriture en abondance sur la table, le repas du midi étant le plus copieux de la journée. Il se composait généralement de purée de pommes de terre et de sauce, de plusieurs sortes de légumes et de rôti de bœuf ou de jambon, et il se terminait toujours par une grosse part de tarte aux fruits. La plupart des aliments étaient cultivés à « la ferme » (mémoires non publiés, p. 7 et 8).

Formulaire de recensement comportant 17 colonnes et montrant les noms de 11 personnes écrits à la main à l’encre noire sur des lignes individuelles.

Recensement de 1931, Robert et Blanche et leurs sept enfants. Ils vivaient à proximité de William King, le fils d’Auldjo et de Mary Ann King. Daniel Beach, le père âgé de Mary Ann King, logeait chez la famille. Source : Recensement de 1931 (bac-lac.gc.ca), compté de Leeds, sous district Bastard et Burgess, no 4, page 2 de 13.

La quête de l’histoire de mon grand-père, Robert Roy Greenhorn, a été une belle expérience teintée d’amertume par moments. Je ne peux qu’imaginer à quel point il a dû être terrifiant d’arriver dans un nouveau pays à l’âge de 9 ans et d’être séparé de son frère aîné. J’ai été bouleversée d’apprendre que mon grand-père avait été maltraité par sa première famille d’accueil. J’ai cependant pu trouver du réconfort dans le fait qu’il a ensuite été recueilli par un couple bienveillant, à qui il témoignait de l’affection.

Portrait réalisé en studio d’un jeune homme présenté dans un cadre ovale sur panneau rectangulaire noir. Le jeune homme porte un costume trois pièces et un chapeau melon, tient un document roulé et appuie son coude sur le dossier d’une chaise.

Robert Roy Greenhorn, photographe et lieu inconnus, vers la fin des années 1890. Photo offerte gracieusement par Pat Greenhorn.

Cette photo de mon grand-père a probablement été prise alors qu’il avait une vingtaine d’années. Se faire tirer le portrait à la fin du XIXe siècle était un événement important. Mon grand-père est vêtu de son plus beau costume, probablement le seul qu’il possède. Son gilet semble être rendu un peu trop petit pour lui. Il tient un document roulé, un accessoire indiquant qu’il sait lire et écrire. Son regard franc traduit la confiance en soi. Son langage corporel est empreint d’assurance. Bien que mon grand-père n’ait pas connu une ascension sociale fulgurante, son histoire est marquée par la résilience et la détermination.

Ressources complémentaires


Beth Greenhorn est gestionnaire de contenu en ligne à la Direction générale de la diffusion et de l’engagement de Bibliothèque et Archives Canada.

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