Marion Meadmore, Mary Guilbault et Dorothy Betz : le leadership des femmes autochtones et le Mouvement des centres d’amitié

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Par Karyne Holmes

Cet article renferme de la terminologie et des contenus à caractère historique qui pourraient être considérés comme offensants, notamment au chapitre du langage utilisé pour désigner des groupes raciaux, ethniques et culturels. Pour en savoir plus, consultez notre Mise en garde – terminologie historique.

En 1978, Marion Meadmore (née Ironquill) marque l’histoire : elle devient la première avocate autochtone admise au barreau au Canada. C’est le point culminant d’un héritage édifié depuis plus de deux décennies. En effet, Marion s’est déjà imposée comme une dirigeante de premier plan, grâce à son travail pour que les communautés autochtones en milieu urbain aient accès à du soutien et des services.

Marion est originaire de la Nation Peepeekisis, en Saskatchewan. Pendant sa jeunesse, elle fréquente un pensionnat pendant dix ans. Puis, au début des années 1950, elle s’installe à Winnipeg pour poursuivre ses études à l’Université du Manitoba. À l’époque, la ville ne compte aucune organisation destinée aux nouveaux résidents d’ascendance autochtone. C’est cette expérience qui incitera Marion à militer pour la création d’endroits où les populations autochtones peuvent se réunir et s’entraider. Elle devient alors une ardente défenseure à ce chapitre.

En 1954, elle s’associe à d’autres militants des Premières Nations et de la Nation métisse, dont Mary Guilbault, pour créer l’Urban Indian Association. Ce regroupement veut cerner et combler les besoins des Autochtones en milieu urbain. Ensemble, Marion et Mary ciblent les difficultés précises auxquelles la communauté est confrontée. Leurs principaux objectifs : aider les personnes à obtenir un logement, un emploi et des soins de santé, ainsi que leur offrir un lieu de rassemblement. Elles s’efforcent particulièrement d’aider les jeunes, nombreux à s’installer à Winnipeg à leur sortie des pensionnats.

L’Urban Indian Association a pour ambition de créer un lieu pouvant accueillir les personnes dans le besoin, et leur fournir de l’aide et de l’information. Pour y parvenir, elle organise notamment des collectes de fonds et rencontre divers organismes gouvernementaux afin d’obtenir leur soutien.

Quatre femmes discutent autour d’une table basse, tenant des stylos et du papier.

Membres du comité de planification de l’Indian and Métis Conference à Winnipeg. De gauche à droite : Marion Meadmore, Mme Ronald Robinson, Gladys Bear et Dorothy Betz, 1961. (e011052439)

En juin 1958, Marion et Mary participent à l’Indian and Métis Conference. Cette réunion, qui se tient tous les ans, est parrainée par le conseil de planification sociale (Welfare Planning Council) de Winnipeg. Mary y présente une motion visant à créer un centre d’aiguillage pour les populations autochtones à Winnipeg, afin de leur fournir orientation et conseils en matière d’emploi, de logement, d’éducation et de services communautaires. Une résolution est adoptée le jour même à cet effet, et on crée sans délai un comité de planification pour établir un tel centre.

L’année suivante, en 1959, l’Urban Indian Association atteint enfin son objectif : un premier Centre d’amitié pour les Autochtones et les Métis ouvre ses portes au 376, rue Donald. C’est l’Indian and Metis Friendship Centre. Parmi les personnes ayant le plus contribué à cette réussite figurent Marion et Mary, ainsi que Dorothy Betz. À l’époque, on estime à 5 000 le nombre d’Autochtones vivant à Winnipeg.

Mais qui est Dorothy Betz? Membre de la Première Nation de Pine Creek, Dorothy (née Nepinak) voit le jour en 1929. Orpheline de parents et de grands-parents dès l’enfance, elle passe 15 ans dans un pensionnat. En 1948, elle prend le train pour Winnipeg, en quête d’un emploi. Seule dans cette ville étrangère, elle arpente la rue Main, où on lui a dit qu’elle trouverait toujours « quelqu’un de la famille ». De fait, elle reconnaît deux cousins dans un café, qui accepteront de la loger.

Dorothy sait trop bien ce que l’on ressent quand une situation nous dépasse. Elle consacrera donc de nombreuses années à venir en aide à ses semblables. « Avant le Centre d’amitié, se souvient-elle, nous n’avions pas d’endroit à nous. Tout ce que nous avions, c’était la rue Main. Ce n’était pas fameux, loin de là! »

Sept femmes en train de discuter. Au-dessus d’elles se trouve une banderole soulignant le premier anniversaire de l’Indian and Metis Friendship Centre.

Célébration du premier anniversaire du Centre d’amitié pour les Autochtones et les Métis (Indian and Metis Friendship Centre). De gauche à droite : Harriet Mason, Marlene Brant, Ethel Blacksmith, Pauline Vanier, Dorothy MacKay, Mary Guilbault et Dorothy Betz (1960). (MIKAN 23956)

L’ouverture du Centre d’amitié pour les Autochtones et les Métis à Winnipeg correspond à la naissance du Mouvement des centres d’amitié, la plus importante infrastructure de prestation de services aux Autochtones hors réserve au Canada. Les centres d’amitié sont des organisations caritatives à but non lucratif ayant pour mission de répondre aux besoins des populations autochtones urbaines en leur fournissant des ressources et des services adaptés à leur culture. Ils sont reconnus pour leur éventail de programmes dans plusieurs domaines, dont la culture, la famille, les loisirs, la langue, le logement, la santé, la justice, l’éducation et l’emploi.

Dès ses premières années, le Centre d’amitié à Winnipeg place les programmes de groupe au cœur de sa mission. Les premiers programmes populaires sont axés sur des activités récréatives; on y retrouve par exemple des groupes de couture, ainsi qu’un comité sur l’éducation et les bibliothèques (Education and Library Committee). Ce dernier organise des conférences sur l’histoire et met sur pied une bibliothèque de ressources sur les expériences, les savoirs et les cultures autochtones.

De nos jours, le centre poursuit son travail sous le nom de Winnipeg Indigenous Friendship Centre. Au total, on compte plus de 120 centres d’amitié dans tout le pays.

Mais l’ouverture de ce premier centre ne signifie pas la fin de l’engagement pour Marion, Mary et Dorothy, qui continuent de s’impliquer activement à Winnipeg.

En 1961, Marion Meadmore cofonde le Conseil national des Indiens, la première organisation nationale vouée à la reconnaissance des besoins et des droits des membres inscrits et non inscrits des Premières Nations. Le Conseil est l’ancêtre de l’Assemblée des Premières Nations et du Congrès des peuples autochtones. Puis Marion reprend ses études à l’Université du Manitoba et obtient son diplôme de droit. Elle ouvre à Winnipeg le premier cabinet composé entièrement d’avocates, en plus de cofonder l’Association du Barreau autochtone du Canada.

Groupe composé d’une femme et de cinq hommes se tenant côte à côte et regardant l’objectif.

Comité temporaire du nouveau Conseil national des Indiens du Canada. De gauche à droite : Telford Adams, George Manuel, A.H. Brass, Marion Meadmore, David Knight et Joe Keeper (1961). (e011373501)

Quant à Mary Guilbault, elle se dévouera 26 ans en tant qu’assistante sociale au sein du ministère de la Santé et des Services sociaux du Manitoba. Elle joue un rôle important dans la création de la Fédération Métisse du Manitoba, en 1967, dont elle siège au conseil d’administration jusqu’en 1974, s’intéressant particulièrement au portefeuille des programmes éducatifs.

Pendant sept ans, Dorothy Betz travaille bénévolement au Centre d’amitié, puis gère le programme judiciaire de l’organisation. Elle est nommée déléguée canadienne pour le cinquième Congrès des Nations Unies à Genève, en Suisse, où elle attire l’attention de la communauté internationale sur la discrimination et les obstacles auxquels sont confrontés les Autochtones dans le système judiciaire.

Avant de mourir, le père de Dorothy lui avait adressé ses dernières paroles en anishinabemowin. Il invitait sa petite fille de 7 ans à devenir « une personne gentille et généreuse, toujours prête à aider les autres et à pardonner ». Déterminée à aider la communauté autochtone urbaine de Winnipeg, Dorothy s’est forgé une réputation inégalée d’optimisme, de gentillesse et de générosité. Parlant couramment l’anishinabemowin, elle a servi d’interprète et aidé de nombreuses personnes à comprendre leurs droits. Elle a aussi participé à l’élaboration du premier Programme d’assistance parajudiciaire du Manitoba.

Photo d’un homme et d’une femme qui sourient devant l’objectif.

Percy Bird et Dorothy Betz. (OCLC 35881259, page 8)

Dans ce blogue, nous vous avons présenté quelques-unes des réalisations de trois grandes femmes. Mais ce n’est qu’une fraction du travail extraordinaire qu’elles ont accompli. Ensemble, elles ont joué un rôle déterminant dans la naissance du Mouvement des centres d’amitié à Winnipeg, et travaillé sans compter leurs heures à titre de membres de conseils d’administration, de bénévoles et de conseillères pour des organisations locales et nationales, tout en élevant leurs familles. Leur force, leur action et leur sagesse reflètent celles des nombreuses Autochtones urbaines remarquables de l’ensemble du Canada qui, aujourd’hui comme hier, soutiennent chaque jour leur communauté.

Ressources supplémentaires :


Karyne Holmes est conservatrice à la Division des expositions et des prêts. Elle a aussi été archiviste pour le projet Nous sommes là : Voici nos histoires, visant à numériser les documents relatifs aux Autochtones conservés à Bibliothèque et Archives Canada.

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